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Aménagement & Architecture

Une micro-géographie de l’agence d’architecture CAB. L’exemple de l’Ensae Paristech

Le 7 avril 2014

Ingénieure paysagiste, chercheur à l’Ecole Nationale Supérieure d’Architecture de Grenoble (ENSAG), Magali Paris s’intéresse notamment aux jardins à différentes échelles d’un territoire. Elle livre ici, dans cet entretien réalisé en avril 2014, une lecture du futur bâtiment de l’ENSAE ParisTech de l’Agence CAB.

(les visuels de cet article ont été actualisés, le jeudi 27 février 2014)

Equerre d’argent 2012, pour leur crèche de la Trinité (06), les architectes Calori Azimi Botineau (CAB Architectes), localisés à Nice, proposent depuis plus de dix ans des projets qui agencent savamment espaces privés et espaces publics afin que l’un serve à l’autre. Le travail sur l’édifice s’étend toujours à ses abords immédiats, prenant comme prétexte une assise au projet pour produire généreusement de l’espace public autour de rues et de parvis. L’espace public et le paysage s’invitent par ailleurs au sein même de l’édifice conçu à la manière d’une structure poreuse où les vides se déclinent sous formes de halls, de larges escaliers, de patios, terrasses et loggias.

L’Ecole Nationale des Statistiques et de l’Administration Economique (ENSAE) – localisée à l’extrémité sud du cluster Paris Saclay, à l’articulation entre le campus et le paysage du plateau et des coteaux, entre l’urbain et le paysage – repose sur cette posture forte de composition architecturale autour de l’urbain et réciproquement. En collaborant avec les paysagistes marseillais Martel et Michel, les architectes réinterprètent la trame de la« géographie amplifiée » proposée par le paysagiste Michel Desvigne, végétalisation additive visant à souligner un tracé paysager « latent ». CAB réinterprète cette géographie amplifiée en l’abritant jusqu’au cœur de l’édifice. Sous les effets de sa morphogénèse, couplée à une attention minutieuse aux usages, cette géographie amplifiée se transforme en ce que les architectes désignent une « micro-géographie ».

Cette micro-géographie se développe en quatre séquences, guidant les flux cheminatoires des futurs usagers, de l’espace public aux cœurs intimes du bâtiment.

La première séquence est celle du socle paysager organisé autour du « green/mail sportif », axe structurant du quartier de l’Ecole Polytechnique qui longe plusieurs édifices. C’est vers ce green que s’ouvre la façade principale de l’ENSAE. Le green se replie en partie sud en jardins filtrants, autant de biotopes inondables, composés de végétation fraîche à humide. Ces jardins sont composés sur la trame structurelle du bâtiment. Celui-ci semble « fondre » dans les jardins et en retour ils le colonisent à travers la matérialité verte d’eau de la façade et la végétalisation des toitures. Les modules de végétalisation en toitures sont également agencés en prolongement des modules structurels du bâtiment.

Une cafétéria s’ouvre en façade ouest vers le green et en façade sud vers les jardins filtrants. Cette cafétéria appartient à une deuxième séquence entre dedans et dehors et s’articule à un hall, un patio planté puis un patio minéral. La porosité des usages est facilitée par la transparence visuelle et un jeu d’interpénétration entre sols intérieur et extérieur via les matériaux vivants ou inertes et les dessins qu’ils forment.

La troisième séquence est celle des mises en vue vers les paysages du plateau et des coteaux. Offertes notamment dans l’espace bibliothèque, ces mises en vue sont un rappel de la géographie amplifiée des coteaux boisés qui structurent le projet à l’échelle du territoire.

La quatrième séquence est celle des loggias présentes dans les étages les plus élevés, jardins les plus intimes, les moins publics de l’édifice, destinés à l’étude et à la recherche, mais qui paradoxalement s’ouvrent le plus vers le dehors et vers les coteaux.

Une micro-géographie contextualisante et hospitalière

Micro-géographie contextualisante et hospitalière à travers le green et les jardins filtrants qui invitent à rentrer dans l’édifice et à travers les mises en vue vers le paysage des coteaux qui « font respirer le bâtiment », micro-géographie intimisante et sécurisante via la succession de jardins intérieurs tour à tour halls, patios et loggias ; la micro-géographie de l’agence CAB crée un rapport d’ambiguïté entre dedans et dehors, public et privé, à la fois saisissant et bienveillant. CAB pose là les conditions des jardins de l’ENSAE, des territoires intimes mais non ségrégatifs de l’éducation et de la recherche car comme nous le dit Robert Harrison – directeur du département de littérature française et italienne à l’université de Stanford : sur un campus, c’est dans ses jardins que tout se joue.

Bien loin des exercices de recomposition de la ville sur la ville sur des terrains saisis de contraintes topographiques auxquels les architectes étaient habitués, premier exercice de « composition ex-nihilo » et « re-contextualisation » réussi pour l’agence d’architecture CAB qui met ici tous ses efforts dans la composition d’un merveilleux à la fois grandeur du minuscule et immensité familière.

Par Magali Paris

Légendes et crédits photos : façade sud du Bâtiment et ses jardins filtrants, images Preview (en Une grand format et illustrant l’article) ; axonométrie éclatée illustrant la porosité visuelle et physique du bâtiment et son hybridation avec le paysage, image CAB (en Une petit format).

Publié dans :

Sylvain Allemand
Sylvain Allemand

Journaliste

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