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Un artiste sonore à l’écoute de l’ADN…

Le 15 mars 2021

« Transformer en musique les variations de séquences de l’ADN, dans le but de rendre audibles sous une forme artistique les similarités et les différences de codes génétiques à l’intérieur et entre différentes espèces. » C’est ce qu’entreprend Antoine Bertin, artiste sonore, à travers Natural Variations, lauréat de l’appel à projets expérimentations de La Diagonale Paris-Saclay / La Scène de recherche – ENS Paris-Saclay.

– Si vous deviez commencer par caractériser votre univers artistique…

Quand on me demande de me définir brièvement, je réponds spontanément :  « artiste sonore », deux mots qui ont le mérite de bien définir en première approche ce que je fais. Mon travail se situe entre science et immersion sensorielle, field recording et narration sonore, sonification de données et composition musicale.
Maintenant, si je devais aller plus loin, je préciserais que ce qui m’intéresse en vérité, ce n’est pas le son en tant que tel que la notion d’écoute, la possibilité de mettre le public en situation d’écouter. Soit, me direz-vous, mais pour écouter quoi ? Je préciserais alors : ce qui nous entoure, tout simplement : les frottements, les hiatus et autres motifs de curiosité ! Depuis 2018, je dispose, à Paris, d’un studio de création, Sound Anything, qui me permet de faire du design d’expériences d’écoute.

– Comment en êtes-vous venu à cette approche de l’écoute ?

J’y suis naturellement venu par la pratique de la musique et la conviction acquise depuis longtemps qu’une posture d’écoute permet d’avancer dans le respect des sujets qu’on étudie. Être dans l’écoute suppose de prendre le temps d’accueillir les informations, de les absorber.

–  Serait-ce aussi en réaction au sentiment que nous serions dans une société où on serait plus dans le dire que dans l’écoute, le monologue que la conversation ?

Sommes-nous dans une société dans laquelle nous serions moins enclins à écouter ? C’est vrai que la tendance est davantage à diffuser le maximum d’information, à un rythme effréné qui vire au bombardement permanent, sans se préoccuper de savoir si elle est bien reçue, appropriée par ceux auxquels on la destine. Tout le contraire de ce que suppose l’écoute, à savoir : le fait de prendre le temps et, donc, d’accepter une certaine lenteur.
Quant au recours à l’ingénierie sonore, il tient à ma pratique ancienne d’un instrument de musique, en l’occurrence la guitare électrique. Un instrument pas seulement acoustique puisqu’il recourt à une technologie électromagnétique relativement récente. Forcément, cela donne encore plus envie d’entrer dans la boîte noire, de comprendre comment il marche et, donc, de s’intéresser à la physique du son. De là cet intérêt qui m’est venu pour la science en général puis cette activité de création à laquelle je me consacre désormais. Elle me permet de trouver un juste équilibre, un compromis, entre démarches poétique et scientifique, et de faire en sorte que la collaboration entre artiste et scientifique puisse aller au-delà des intentions, d’une création évocatrice, mais bien de déboucher sur des réalisations qui concourent à faire avancer les choses, à répondre aux défis de notre temps.
Le projet mené dans le cadre de la résidence répond à cette ambition. Il vise à créer les conditions de possibilité d’une écoute du monde de la microbiologie, celui de l’ADN.

– A vous entendre, on comprend que vous aviez bien le profil pour répondre à l’appel à projet de La Diagonale Paris-Saclay / La Scène de recherche – ENS Paris-Saclay, dont l’ambition est justement de faire se rencontrer artistes et scientifiques dans une démarche de co-création, à la fois artistique et scientifique…

Effectivement, tout mon travail témoigne de cet intérêt, même s’il n’en est pas une condition : d’autres profils que le mien pouvaient répondre à cet appel à projets, y compris des artistes n’ayant pas d’expérience antérieure de collaboration avec des chercheurs ni même un cursus scientifique.

– Vous voilà donc en résidence. Il importe de préciser que si c’est bien le terme utilisé, pour autant elle revêt une tout autre forme que celle qu’on imagine dans le cas des écrivains, à qui elle permet de s’isoler, le plus souvent dans un cadre agréable pour mener à bien un projet de création littéraire… Dans votre cas, il s’agit de travailler avec au moins un ou une scientifique… De qui s’agit-il d’ailleurs ?

De Juergen Kroymann, chef d’équipe Génétique et Écologie Évolutives (GEE), au sein du Laboratoire d’Écologie, Systématique et Évolution (ESE), de l’Université Paris-Saclay.

– Un chercheur dont vous avez fait connaissance à l’occasion de cet appel à projets ?

Oui. D’autres lauréats, parmi les artistes, avaient déjà une expérience de collaboration avec le chercheur auquel ils sont associés. Ce n’était pas mon cas. Avec le concours de l’équipe de La Diagonale Paris-Saclay, j’ai pu dans un premier temps identifier des laboratoires traitant des thématiques en lien avec celle que je voulais approfondir sachant que, pour ma part, je ne me limitais pas a priori à la biologie moléculaire. D’autres champs de recherche m’intéressent comme l’astrophysique. Le choix final s’est fait aussi suivant les disponibilités des uns et des autres, mais aussi de l’appétence des chercheurs pour cette démarche de co-création artistico-scientifique. Juergen s’est montré le plus spontané. C’est comme cela que notre tandem s’est formé.

– Votre collaboration ayant débuté, il est encore trop tôt pour savoir ce vers quoi vous comptez vous orienter…

Oui et non. En réponse à l’appel à projets, dans la catégorie « expérimentations », il nous a fallu définir un cadre qui permette d’avancer vers quelque chose de nouveau. Nous avons ainsi proposé d’explorer la possibilité de transformer en musique les variations de séquences d’ADN, dans le but de rendre audibles et sous une forme artistique, les similarités et les différences de codes génétiques à l’intérieur et entre différentes espèces. Pour sonifier ainsi des ensembles de matrices de complexité croissantes de données ADN, différents outils musicaux seront utilisés : des instruments classiques mais aussi nouveaux comme de la lutherie numérique.  Les résultats de notre recherche prendront la forme de compositions musicales, d’un court métrage et d’une session musicale en public.
Cela étant dit, le propre de la création est aussi de jouer avec le cadre qu’on se fixe. C’est d’autant plus nécessaire dans le contexte de crise sanitaire que nous connaissons. Nous exposant à plus d’incertitude, il nous oblige à faire preuve d’une certaine agilité, quitte à revenir sur des intentions initiales.

– Merci d’avoir accepté ce premier entretien alors que votre résidence ne fait que débuter et de nous faire entrer dans le processus de création avec toute cette part d’incertitude qu’il suppose. A vous entendre, on perçoit bien que l’un comme l’autre prenez un risque au sens où même si vous vous êtes fixé un cadre, vous restez disponibles devant l’imprévu sans exclure au final de co-créer quelque chose de différent…

Il y a effectivement une part de risque, que nous prenons à la fois à deux et individuellement. Un processus de création artistique – mais probablement est-ce aussi le cas du processus de recherche – se caractérise par beaucoup d’étapes qui confrontent à une part d’incertitude. Force est alors d’admettre que, parfois, on ne sait pas véritablement ce qu’on est en train de faire, comment on est parvenu à tel ou tel résultat ! On a beau avoir des intentions claires, on se retrouve à changer d’avis… D’un côté, cela fait partie du charme de la création. De l’autre, cela nécessite de rassurer les personnes avec lesquelles on travaille, quant au fait qu’on parviendra malgré tout à un résultat correspondant à peu près aux attentes, fussent-elles implicites. Certes, avec l’expérience, on parvient à composer avec l’imprévu, les aléas. Mais dès lors que l’on entame une collaboration avec une nouvelle personne, qui n’a pas l’habitude de procéder ainsi ou qui a l’expérience d’autres formes d’aléas, il faut d’une certaine manière la réassurer, donner des gages.

– Est-ce à dire qu’il vous faut encore, vous l’artiste et lui le chercheur, vous apprivoiser ?

Non. Je ne dirai pas apprivoiser – entre Juergen et moi, le courant passe naturellement. Il s’agit plutôt pour nous d’explorer la meilleure manière de travailler ensemble, en prenant en considération nos contraintes de temps respectives et en apprenant à composer avec le rapport que l’autre entretient avec les résultats possibles de cette résidence.

– Combien de temps doit durer votre collaboration autour de ce projet ?

Nous avons prévu de livrer un « outcome » en septembre de cette année. Nous sommes tributaires de la floraison et, donc, calés sur le rythme des saisons. Naturellement, le travail ne se déroulera pas en continu. Nous nous retrouvons à intervalles réguliers.

– Dans quelle mesure ce projet est-il pour vous l’occasion de découvrir l’écosystème de Paris-Saclay ? Le connaissiez-vous déjà ?

Il ne m’était pas totalement étranger. Dans le cadre de mes études en ingénierie sonore à l’École nationale supérieure Louis-Lumière, il y a de cela une dizaine d’années, je m’étais rendu, pour les besoins de mon mémoire de recherche, dans un laboratoire de recherche du campus d’Orsay, relevant d’un autre domaine – les nouvelles générations d’interfaces en informatique. C’est la seule connexion que j’eus avec le futur écosystème. Cependant, j’avais gardé le souvenir d’un campus arboré. Ma résidence actuelle me permet de prendre la mesure des transformations en cours sur le plateau de Saclay, avec tous ces chantiers, tous ces nouveaux bâtiments… Jurgen est directement concerné puisque son laboratoire doit y être prochainement transféré.
Mais avant de m’y rendre, il y eut d’abord, comme je le disais, mes recherches sur internet pour identifier un partenaire possible pour les besoins du projet. J’ai été alors frappé par la profusion des laboratoires et des spécialistes susceptibles de m’intéresser. Paris-Saclay, ce fut donc d’abord cela : une sensation d’être submergé par des options à la fois riches et hétérogènes. Ce côté labyrinthique me rendait l’écosystème d’autant plus attractif et aiguise aujourd’hui encore ma curiosité quant à savoir comment il fonctionne au quotidien.

– En attendant de découvrir le résultat de votre démarche, encore une question sur ce contexte de crise sanitaire. Dans quelle mesure contrarie-t-il le déroulement de votre résidence ?

Le propre des artistes est de s’adapter aux incertitudes inhérentes au processus de création que nous évoquions, mais aussi au fait de se retrouver dans des environnements étrangers à leur quotidien. Pour avoir voyagé à travers le monde, séjourné dans des pays différents, j’ai l’habitude de me retrouver au milieu de gens dont je ne parle pas la langue, dans des écosystèmes dont j’ai tout à découvrir. La crise sanitaire apporte de nombreuses difficultés, différentes pour chacun. En même temps, elle est aussi une source d’opportunités. Des artistes en témoignent d’ailleurs en ayant su rebondir de différentes manières. Voyez ces formats en ligne, que certains avaient déjà expérimentés, mais qui se sont imposés plus largement. On peut le regretter. Mais on peut aussi y voir de nouveaux supports de création. A cet égard, ils m’intéressent. Pour moi, en effet, la question n’est pas de savoir si les expériences en distanciel peuvent remplacer les formes d’expressions en chair et en os. Mais comment elles permettent de créer maintenant, et comment elles viennent sculpter, augmenter, déranger les formes plus classiques d’expression. Voyez les œuvres de Miró : elles relèvent d’un tout autre paradigme de création que le mien au regard des techniques utilisées, mais je trouve de l’inspiration dans sa manière d’utiliser, pour les détourner, les médiums de son temps, comme les affiches par exemple. Je ne fais finalement pas autre chose : j’utilise les médiums de mon temps, qui se trouvent à voir avec le numérique. Plutôt que de les bannir a priori, je crois nécessaire de leur faire honneur en en explorant le potentiel. Le fait que tout le monde en soit réduit à y recourir, que ce soit les artistes ou les chercheurs, créent de surcroît de nouveaux lieux d’actions.

Pour en savoir plus sur Antoine Bertin, consulter :

… son site – pour y accéder, cliquer ici.

… son compte instagram – cliquer ici.

 

 

Sylvain Allemand
Sylvain Allemand

Journaliste

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