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Aménagement & Architecture

Regard d’un paysagiste sur le Plateau de Saclay.

Le 20 décembre 2012

Mandataire du groupement d’architectes et d’urbanistes en charge de définir l’aménagement du Plateau de Saclay, Michel Desvigne, célèbre paysagiste témoigne ici, dans cet entretien réalisé en décembre 2012, de la singularité de sa mission de sa complexité.

– Où en êtes-vous dans vos missions sur le Plateau de Saclay ?

Le groupement d’architectes et d’urbanistes dont je suis le mandataire en est déjà à trois ans d’intervention sur le Plateau. Trois ans, cela peut paraître beaucoup par rapport au temps nécessaire à la réalisation d’un bâtiment. Pour une mission comme celle-ci, consistant à accompagner la transformation de tout un territoire, c’est un laps de temps relativement bref. Plusieurs de mes projets durent depuis bien plus d’années encore : à Lyon Confluence, j’interviens depuis treize ans, à Montpellier depuis 20 ans. De manière générale, la construction d’une ville de taille significative, ce peut prendre jusqu’à trente ans.

– En quoi cette mission est-elle spécifique ?

Elle l’est de par les différentes échelles auxquelles nous intervenons et ce, en parallèle. Ces échelles sont au nombre de trois, qui appellent à chaque fois des réflexions spécifiques. Il y a d’abord la réflexion engagée à l’échelle de l’ensemble du territoire dont l’EPPS a la charge et qui couvre, outre le Plateau, des terrains situés à Satory, dans les Yvelines. Soit un territoire d’une trentaine de kilomètres de long ! Une échelle peut courante qui appelle une réflexion spécifique. L’élaboration de la stratégie de mise en œuvre et de développement n’en est pas moins bien avancée. Elle consiste à appréhender ce vaste cluster scientifique comme une sorte d’archipel aux polarités multiples. La stricte composition du bâti ne donne pas l’unité de ce territoire. La mise en cohérence de cet archipel est d’une autre nature. Elle s’appuie sur la géographie très présente des coteaux boisés. Nous proposons d’amplifier cette nature en boisant, souvent à la marge, les vallons qui relient le plateau et les vallées. À l’échelle du plateau, cette « géographie amplifiée » forme un tout cohérent et identifiable, une extraordinaire structure qui permet de relier les différentes pièces de cet archipel, d’organiser déplacements, gestion de l’eau…

Mais si cette solution fonctionne sur 7 700 hectares, elle ne suffit pas, par exemple, à l’échelle des 900 hectares du Parc-campus du sud du plateau qui va du CEA jusqu’à l’Ecole Polytechnique, et au-delà vers Palaiseau. Ici, la structure paysagère sur laquelle s’adossent les différents quartiers, est complétée par un système de parcs de 7 kilomètre, un élément composite riche et complexe placée à la lisière des zones agricoles, et multipliant les liaisons au sein des quartiers, et vers les vallées.

Enfin, nous intervenons à l’échelle de chaque quartier, comme le quartier de Palaiseau, sur des échelles de l’ordre de 2,5 à 3 km. Autour d’un lieu majeur d’environ 1km se constitueront les premières centralités, et des espaces publics plus urbains.

Ainsi, nous réfléchissons simultanément à trois échelles différentes. Naturellement ces échelles s’emboîtent, mais pas à la manière de poupées russes. Il n’existe pas de rapport homothétique de réduction entre ces échelles. Toute en étant liées entre elles, chacune demande des réponses particulières.

– En quoi l’articulation de ces différentes échelles est-elle problématique ?

Je trouve au contraire essentiel de réfléchir simultanément à ces différentes échelles. Il est rare qu’une seule personne soit en charge de cela. En général, on élabore un plan à grande échelle, sans se préoccuper de ce à quoi cela va servir à une échelle plus locale. A l’inverse, il y a des projets locaux qui sont menés sans le souci de l’environnement proche et lointain, même si on prétend le contraire.

La qualité de la commande de l’EPPS réside précisément dans cette diversité des échelles et leur déclinaison. De là la multitude des questions qui nous sont posées : elles vont de la géographie jusqu’à des prescriptions pour un établissement, d’un cordon boisé de plusieurs km jusqu’à l’emplacement de l’entrée d’un établissement !

– Mais cela n’élargit-il pas le spectre des interlocuteurs entre les établissements de recherche et d’enseignement, les entreprises, etc. ? Dans quelle mesure cela ajoute-t-il à la complexité ?

Effectivement, le territoire étant vaste, nous sommes confrontés à une multitude d’institutions, de commanditaires… Cependant, la situation n’est pas forcément plus difficile qu’ailleurs, puisqu’il existe un établissement public qui, avec un certain nombre de partenaires, est en charge de faire que ce projet existe dans une certaine unité, aussi bien sur plan du style, que de sa gouvernance. Je crois aussi qu’il y a une convergence de vue des interlocuteurs. Malgré l’alternance politique intervenue en mai dernier, tout le monde reste convaincu que ce cluster des sciences de l’ingénieur est une nécessité pour le pays. On voit bien à quel point les grandes écoles et les universités ont elles-mêmes le désir de mieux travailler ensemble, car c’est entre leurs disciplines qu’émergeront les découvertes de demain.

– Ce territoire appelé à favoriser une logique de cluster est un territoire habité…

Personne ne l’ignore, encore moins le paysagiste que je suis. Les territoires où nous intervenons sont habités et cela fait partie de nos compétences que de composer avec cet existant. Les appréhensions qu’expriment les habitants, quand bien même sont-ils aussi intéressés par la recherche, voire des chercheurs eux-mêmes, sont naturelles. Tout projet d’aménagement suscite un mouvement de soupçon. Il y a une résistance humaine et peut-être toute française au changement, qu’il faut prendre en compte, même si elle n’est pas toujours justifiée. Il y a de toute façon un ensemble de procédures réglementaires et légales, liées notamment aux enquêtes publiques et à la concertation, qui associent toutes les parties concernées, habitants compris.

Outre les résidents actuels, nous devons cependant prendre aussi en compte ceux les besoins des futurs habitants ou de ceux qui travaillent et étudient sur le territoire.

– Et les élus ?

La décentralisation est un fait. Ils sont naturellement présents dans les instances de concertation, sans compter le conseil d’administration de l’EPPS.

– Et vos rapports avec les agriculteurs ?

Une loi a fixé une superficie de 2 300 ha de terres agricoles sauvegardées. Ce qui n’est pas négligeable. Le projet va cependant encore plus loin en jouant sur la notion de compacité. En plus de ces 2 300 ha, des terrains auront vocation à devenir des parcs, ni tout à fait agricoles, ni tout à fait publics. Soit ce que j’appelle des « paysages intermédiaires ».

Concernant la place de l’agriculture, nous devons faire preuve à la fois d’ambition et de prudence. De l’ambition d’abord : nous faisons le rêve que ce paysage intermédiaire entre les activités économiques et le campus soit le lieu de développement de pratiques agricoles exemplaires. Les chercheurs agronomes parlent d’une ingénierie écologique au service de la ville, à travers un traitement durable de l’eau et des sols, la conservation des matériaux d’excavation, la création de pépinières… Autant de thèmes que les urbanistes et les paysagistes ont fait leurs et mettent en œuvre partout où ils interviennent. C’est naturellement le cas ici, où compte tenu de l’environnement scientifique, nous nous devons d’être particulièrement exemplaires. Nous avons cette ambition. Nous collaborons déjà avec les écoles d’agronomie et des agriculteurs. Certains seraient même prêts à participer prochainement à l’entretien et la gestion d’une partie d’un paysage en mutation.

De la prudence ensuite, dans la mesure où les urbanistes et les paysagistes, peuvent avoir tendance à annoncer des idées généreuses en matière d’agriculture de proximité ou périurbaine. Il s’agit là d’enjeux de très large échelle que l’on ne peut traiter à la légère, car il ne s’agit pas seulement de satisfaire les besoins de la population locale. Il importe de garder à l’esprit la nécessité de satisfaire les besoins alimentaires au plan de la planète. Le Plateau est grand à l’échelle d’une ville, mais il reste petit à l’échelle de l’économie agricole. Il faut accommoder l’œil à la bonne échelle de l’enjeu. Sur le Plateau de Saclay moins qu’ailleurs, on ne peut se contenter de bricoler des initiatives. Car il s’y trouve des agriculteurs et des institutions comme Agro Paris Tech dont c’est le métier.

– Et les chercheurs et enseignants-chercheurs, en quoi leur forte présence ajoute à la spécificité du projet ?

Quand on arrive ici, sur le Plateau, on pense arriver sur un terrain essentiellement agricole, hormis les quelques établissements de recherche existant. Et puis on découvre qu’il y a un nombre considérable de « cerveaux » scientifiques. Y compris dans les vallées, qui sont loin d’être peuplées seulement de retraités, comme on peut le penser de prime abord. Cela rend naturellement modeste. On comprend qu’on ne pourra pas mener un tel projet avec nos seuls cerveaux de paysagiste, d’architecte ou d’urbaniste. Seulement, ces cerveaux scientifiques, on ne les voit. Ils sont comme perdus au milieu des champs ! L’apport du paysagiste peut justement contribuer à donner à voir cette richesse par l’aménagement de ces espaces intermédiaires que j’évoquais.

– Comment se déroule la collaboration entre le paysagiste que vous êtes et les architectes urbanistes de votre groupement ?

Je précise que le projet mobilise trois équipes : celle de Floris Alkemade, la mienne et celle de Xavier de Geyteer, auxquels s’ajoutent des consultants et des bureaux d’études… Soit une équipe composite. Nous trois, nous nous connaissons bien, ce qui facilite les choses. A leur contact et à celui de Floris en particulier, j’ai pu prendre la mesure des différences de culture dans la conduite d’un projet urbain. De tels projets sont toujours sources de tensions et de conflits. Celui de Paris Saclay n’échappe pas à ce constat. Le flegme de Floris est d’autant plus précieux. De manière générale, les Hollandais sont rompus au dialogue, à ces moments de discussion contradictoire. Ils savent prendre le temps d’écouter, d’afficher leur point de vue sans s’énerver.

Mais l’apport de Floris ne réside pas seulement dans cette manière hollandaise de discuter. Il est aussi dans la manière de concevoir. On définit certes des règles du jeu, des priorités, des stratégies, mais sans s’arc-bouter sur sa solution en considérant que ce serait la fin du monde si on modifiait quoi que ce soit dans le dessin initial – ce qui peut-être une attitude bien française… Une approche qui rassure beaucoup les interlocuteurs. De là sans doute l’influence des architectes et urbanistes hollandais sur nos professions qui étaient enclines au formalisme. En France, du moins, où l’architecte, l’urbaniste ou le paysagiste a tendance à se considérer comme un deus ex machina dont la création ne saurait souffrir la moindre contestation. Au Pays-Bas, il y a une forme de détachement qui est tout sauf de l’indétermination. Le dessin architectural compte autant qu’en France, mais il peut évoluer selon les circonstances.

 

 

 

Sylvain Allemand
Sylvain Allemand

Journaliste

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