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Entrepreneuriat innovant

Quand les STAPS riment avec conception innovante.

Le 13 avril 2017

Qu’on se le dise : les STAPS peuvent aussi rimer avec conception innovante et même entrepreneuriat. Démonstration avec Agnès Olivier, qui, dans un précédent entretien, avait témoigné de la manière dont elle avait articulé ses propres recherches à une démarche entrepreneuriale. Elle rend compte cette fois du chemin parcouru avec la création d’une UE en conception de projet innovant au sein du Master 2 PCMPS (pour Psychologie, Contrôle Moteur et Performance Sportive) de l’UFR STAPS de l’Université Paris-Sud (aujourd’hui Université Paris-Saclay).

Pour accéder au premier entretien qu’Agnès Olivier nous a accordé, cliquer ici.

– Si vous deviez pitcher cette Unité d’Enseignement (UE) en conception de projet innovant…

Cette UE est proposée dans le cadre du Master 2 PCMPS, mis en place au sein de la School de l’Université Paris-Saclay, dédiée aux sciences du sport et du mouvement humain, sous la direction de Caroline Teulier. Comme son nom l’indique, elle vise à initier des étudiants à la conception d’un projet innovant, en valorisant les connaissances théoriques acquises au cours de leur formation, à travers un projet mené au sein d’une équipe. Elle leur ouvre ainsi une voie alternative à la recherche académique, ce projet pouvant déboucher, comme nous l’espérons, sur la création d’une start-up ou les convaincre de travailler au sein d’un centre de R&D.

– Comment l’idée est-elle venue ?

A l’origine, il y avait la volonté de rendre les STAPS plus visibles sur le Campus de Paris-Saclay. Cette filière a beau déjà drainer beaucoup d’étudiants et être attractive de part sa multidisciplinarité (on y aborde des disciplines aussi diverses que l’anatomie, la psychologie, la sociologie,…), elle reste encore méconnue, y compris dans son rapport à l’innovation. Souvenez-vous : vous-même, la première fois que vous m’aviez rencontrée, vous m’avez dit découvrir l’existence des STAPS sur le Campus de Paris-Saclay ou du moins ne pas en avoir beaucoup entendu parler jusqu’alors. Force est d’admettre aussi que tous les étudiants ne peuvent se destiner à la recherche. L’UE répond donc aussi au souci de leur offrir d’autres débouchés, en leur ouvrant les yeux sur l’entrepreneuriat innovant ou la R&D en entreprise.

– Partiez-vous de zéro ?

Non. Une cellule R&D avait été créée à l’initiative de deux enseignants – les Professeurs Brice Isableu et Michel Desbordes, qui avaient déposé des brevets. Mais, disons, qu’on n’était pas allé plus loin au plan des enseignements. La création de l’UE marque une nouvelle étape dans l’effort de reconnaissance des STAPS comme un vivier d’innovation.

– Comment vous êtes-vous retrouvée à l’encadrer ?

Caroline Teulier avait fait le même constat que moi quant à la nécessité de mieux faire reconnaître l’innovation au sein des STAPS. Quand il s’est agi d’identifier quelqu’un pour en assurer l’encadrement des cours, elle a aussitôt pensé à moi. Me retrouvant pleinement dans ce projet, j’ai naturellement accepté. De par ma formation au management des sports et mon doctorat en neurosciences, j’étais l’hybride idéal pour faire vivre cette UE.

– Comment réagissent les étudiants ?

Au début, ils sont un peu surpris (l’UE est obligatoire), mais très vite ils en voient l’intérêt : offrir d’autres perspectives professionnelles que la recherche, celles de l’entrepreneuriat innovant, en particulier, qu’ils ne connaissaient pas nécessairement.

– Quels profils ont-ils ?

Tous ont déjà un parcours professionnel et interviennent donc déjà sur le terrain, comme kinésithérapeuthes, coachs, managers, etc. Ajouté à l’approche pluridisciplinaire des STAPS, cela en fait des profils particuliers et, j’en suis persuadée, pertinents pour s’engager dans une démarche de conception d’un projet innovant. Ils savent à la fois dialoguer avec des scientifiques tout en ayant une connaissance de terrain, des usages comme des pratiques. Or on sait combien la réussite d’une innovation dépend de sa capacité à répondre à un vrai besoin, à rencontrer son marché.

– La création de cette UE découle-t-elle d’une dynamique propre aux STAPS de Paris-Sud ou vous êtes-vous inspirés de ce qui se fait ailleurs ?

Autant le reconnaître : nous n’avons pas cherché à voir ce que d’autres UFR STAPS avaient fait en la matière. Nous avions juste la conviction qu’une telle UE avait tout son sens au regard de l’existant et qu’une opportunité se présentait avec l’élaboration des nouvelles maquettes de Master, qu’il fallait saisir. Et puis, l’écosystème de Paris-Saclay était favorable ; j’ai pu le constater en participant moi-même à des événements dédiés à l’innovation, non sans du même coup être surprise par tout ce qui se faisait déjà dans des établissements membres de l’Université Paris-Saclay. La plupart encourageaient l’entrepreneuriat innovant. J’avoue avoir alors été un peu envieuse de ce qui se faisait ici et là ! Mais « Pourquoi pas nous ? » me suis-je dit aussi. Après tout, s’il y a bien une filière à même de faire dialoguer les différentes disciplinaires, à travers la conception d’un projet innovant, c’est bien les STAPS, par définition multidisciplinaires.

– A vous entendre, c’est la compétitrice [Agnès Olivier a participé à des concours équestres] qui a souhaité relever le défi…

(Rire) Il y a peut-être un peu de cela. Une chose est sûre : ce n’est pas fini. Je pense que nous ne sommes qu’au début d’une évolution profonde. Déjà, nous avons commencé par combler un vide : la désignation d’un correspondant innovation au sein de la filière STAPS, en la personne de Nicolas Vignais car, aussi étonnant que cela puisse être, il n’y en avait pas.

– Qu’elle en a été l’opportunité ?

C’est suite à ma rencontre, l’an passé, avec Pascal Corbel [ Vice-président des Relations entreprises et de la Formation tout au long de la vie au sein de Paris-Sud ], que j’avais sollicité pour soumettre mon projet personnel. Il m’avait alors fait part de sa surprise de ne pas avoir de correspondant innovant en STAPS. Une nouvelle illustration de la faible visibilité de cette filière, après celle dont vous m’aviez vous-même fait part. Le nom de Nicolas Vignais s’est imposé naturellement. Tout chercheur qu’il est, il est intéressé par l’innovation. C’est désormais vers lui que nos étudiants peuvent se tourner pour faire connaître leur projet et relayer leur demande auprès de l’Université Paris-Saclay.

– En attendant, que proposez-vous dans le cadre de cette UE ? Comment se déroule-t-elle ?

Encore une fois, il ne s’agit que d’une initiation à la conception d’un projet innovant (l’UE ne totalise que six heures de cours). Les premières heures, programmées début décembre, sont consacrées à une introduction à l’innovation et ses enjeux, à travers une étude de cas concret. On y aborde les modalités de la gestion de projet en passant en revue les compétences à réunir (de la R&D au marketing en passant par le commercial, la comptabilité,…). Suite à quoi, au terme d’un brainstorming, les étudiants sont invités à formuler des idées de projets. Lors du cours suivant, on planifie les étapes. Entretemps, avant Noël, les étudiants se seront constitués en équipe en ayant peaufiner leur concept. Une fois que celui-ci est arrêté, une clause de confidentialité est signée au cours du mois de janvier. Chaque équipe mène ensuite son projet, en ayant préalablement défini le rôle de chacun. Jusqu’à la présentation du résultat devant un jury, les étudiants peuvent me solliciter en cas de besoin.

– A quel stade en sont ces projets à l’issue de l’UE ?

Au stade du prototypage, de la pré-incubation autrement dit. A ce titre, ils peuvent donc prétendre répondre à l’appel à projets de la SATT Paris-Saclay. C’est d’ailleurs pourquoi, depuis cette année, l’UE a été programmée en conséquence. Tant qu’à faire réfléchir nos étudiants à un projet innovant, autant leur donner la possibilité de poursuivre l’aventure, s’ils sont bons. Qui plus est, le dossier de cet appel à projets est très bien structuré : en trois/quatre pages, il couvre l’ensemble des aspects d’un projet entrepreneurial adossé à un laboratoire de recherche.

– Entretemps, les projets sont soumis à un jury…

Oui. Cette année, le jury s’est réuni le 22 février, soit un mois avant la date butoir de remise des dossiers pour l’appel à projets de la SATT Paris-Saclay. Les équipes sont évaluées sur la base d’un dossier et à l’oral. Le regard extérieur de Pascal Corbel permet de pointer les aspects de leur projet qui resteraient à travailler d’ici-là.

– En quoi ont consisté les projets ? Avez-vous été agréablement surprise ?

Oui, j’ai été plutôt épatée. Dès la première année, les étudiants ont su faire preuve de créativité en sachant valoriser des expériences antérieures. Parmi les projets, il y avait des lunettes intelligentes pour la natation ou d’autres encore, qui permettent d’améliorer la posture devant les écrans d’ordinateur ; une nouvelle table de massage, etc.

– Et cette année ?

Il y eut une chaise intelligente qui émet une vibration quand la posture est inadaptée ou que la personne est assise depuis trop longtemps ; des buts de football intelligents en vue d’optimiser l’entrainement et la performance (s’ils existent déjà dans des clubs, c’est à un prix bien supérieur à celui auquel est parvenu notre équipe en s’inscrivant dans une logique d’innovation frugale) ; un vélo d’entraînement à domicile pour personnes âgées en sollicitant leurs aptitudes cognitives et physiques ; un système de guidage tactile en forme de ceinture pour personnes mal-voyantes ou comme alternative à la géolocalisation depuis son smartphone. Autant de projets que je ne peux vous présenter plus en détail compte tenu de la clause de confidentialité que j’évoquais tout à l’heure.

– Quelle est la difficulté majeure à laquelle se heurtent vos étudiants ?

Aussi curieux que cela puisse être, c’est dans la constitution des équipes qu’ils rencontrent le plus de difficultés. Au prétexte qu’ils s’entendent bien, ils pensent qu’ils peuvent mener un projet ensemble. En réalité, qui se ressemblent ne s’assemblent pas forcément. Dès lors qu’on s’engage dans un projet entrepreneurial, il importe de s’associer d’abord à des personnes qui apporteront des compétences complémentaires aux siennes.
Et puis, toutes les équipes ne parviennent pas à se réunir autant qu’elles le souhaitent. A cet égard, les situations sont diverses, entre celles dont les membres ont réussi à échanger, fût-ce à distance, via Skype ou d’autres modes de communication, et celles qui n’y sont pas parvenues. Dans un cas comme dans l’autre, les étudiants ne ressortent pas moins grandis de cette expérience. Ils ont pu éprouver par eux-mêmes ce qu’il en coute de mener un projet entrepreneurial.

– Comment appréhendez-vous le fait que les projets n’aillent ce pas au-delà ou échouent à l’appel à projets de la SATT Paris-Saclay ?

Sereinement. D’abord, rien n’empêcherait nos étudiants de retenter leur chance l’année suivante. Déjà, du passage devant notre jury, ils sont assurés de tirer des enseignements instructifs : Pascal Corbel a le don pour pointer les forces et faiblesses d’un projet, sans décourager les étudiants. Et puis ceux-ci en sont encore à un âge sinon à une étape de leur cursus où ils peuvent encore prendre le risque de se lancer dans un projet entrepreneurial. D’autant qu’une telle expérience est de plus en plus valorisée sur un CV, quand bien même elle débouche sur un échec. Ce qui était loin d’être le cas il y a encore quelques années, en France du moins. Bref, j’ai la conviction qu’il leur restera toujours quelque chose de leur UE : leur créativité s’en trouve renforcée, de même que leur aptitude à travailler en équipe.

– Cette UE est-elle aussi conçue comme l’occasion de les sensibiliser aux ressources existant dans l’écosystème de Paris-Saclay ?

Oui, bien sûr. En étudiant le passage de la recherche à l’innovation, je les sensibilise au fait que cet écosystème est particulièrement favorable pour développer leurs idées. Moi-même, je l’ai rejoint parce qu’il y avait des STAPS dynamiques, des laboratoires et des centres de R&D à la pointe, des sources de financement, enfin, une émulation collective.

A lire aussi l’entretien avec Caroline Teulier (pour y accéder, cliquer ici).

Légende de la photo : de gauche à droite : Agnès Olivier (responsable de l’UE en conception de projet innovant du Master 2 PCMPS) ; Nicolas Vignais (MCF, Responsable innovation du l’UFR STAPS, membre du jury de l’évaluation des projets) ;  Caroline Teulier (MCF, Directrice du Master 2 PCMPS de l’UFR STAPS, membre du jury) et sur la marche inférieure : Jean-Philippe Viseu (étudiant du Master 2 PCMPS 2016 portant le projet BodyMod « Logiciel de modélisation du corps humain en vue de prédiction de soins ») et Quentin Berger (étudiant du Master 2 PCMPS 2017 portant le projet GoalLight « buts de football intelligents en vue d’optimiser l’entrainement et la performance »).

Sylvain Allemand
Sylvain Allemand

Journaliste

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