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Plateau de Saclay, racines d’avenir.

Le 30 mars 2014

Le Plateau de Saclay est tout sauf un territoire vide ! Démonstration s’il en était encore besoin, à travers un ouvrage richement illustré, édité par le photographe Jacques de Givry.

« Un livre prenant pour thème le Plateau de Saclay, qui vous voulez que cela intéresse ? C’est un espace vide, il n’y a rien à voir. » Telle est la réaction que le photographe Jacques de Givry dit avoir entendue plus d’une fois dans la bouche de ceux à qui il évoquait son projet éditorial sur ledit Plateau. On imagine la réaction de surprise de cet ancien ingénieur électronicien de chez Matra, qui arpente ce territoire depuis au moins les années 80 pour en photographier le paysage dans sa diversité.

Manifestement, cette réaction ne l’a pas découragé. Pour preuve cet ouvrage édité par ses soins et richement illustré de plusieurs de ses photos commentées, que les habitués du Plateau auront pu redécouvrir à travers des expositions organisées l’an passé (en avril-juin à Viltain, puis en décembre, autour de la mare de Sacaly*).

Au fil des pages, le lecteur qui ne sera pas encore aventuré sur ce territoire peut prendre la mesure de la richesse de son patrimoine aussi bien historique qu’agricole et naturel. Historique, avec ses rigoles et étangs destinés à alimenter en eau les fontaines du château de Versailles (et que l’association Ader s’emploie à sauvegarder), ses acqueducs aériens ou souterrains, ses demeures, ses moulins à eaux (des Vassaux, de Vauptain…), etc. Agricole et naturel, avec ses vieilles fermes (du Moulon, de Viltain, de Villiers-le-Bâcle…) dont beaucoup sont encore en activité, ses champs de culture céréalière, ses bois et ses forêts, ses cours d’eaux, ses vallées…

Du Néolithique à nos jours, une présence ancienne

Pas plus qu’il n’est vide aujourd’hui, il ne l’a été hier ou même avant hier, ainsi que le rappelle la passionnante rétrospective de son exploitation agricole depuis le Néolithique jusqu’à nos jours, proposée par l’écrivain Elizabeth Trimbach, manifestement inspirée par le sujet. On mesure au passage les transformations incessantes que le paysage n’a cessé de connaître, sous l’effet des péripéties de l’histoire (dont les guerres de religion), de l’urbanisation qui aura eu raison des activités maraîchères des vallées, malgré l’arrivée du train (la ligne de Sceaux est prolongée jusqu’à Orsay, dès 1854 !), qui leur avait offert des débouchés sur les marchés parisiens, ou encore des innovations agricoles successives intervenues depuis l’Antiquité. Il n’est pas jusqu’à l’agriculture scientifique qui ne s’y soit manifestée précocement, au début du XXe siècle, avec le laboratoire de sélection des célèbres semences Vilmorin et Andrieux aux Granges, à Palaiseau.

Les vastes champs que l’on peut observer aujourd’hui, exploités par une poignée d’exploitations, sont finalement de création récente, le résultat de la modernisation de l’agriculture liée à la Politique agricole commune (Pac), au profit de productions céréalières destinées à l’exportation. Mais déjà s’amorce un processus de conversion sinon d’hybridation avec le retour de pratiques maraîchères et la promotion des circuits courts (à travers l’Amap Les Jardins de Cérès ou le Jardin de Cocagne installé tout récemment à la ferme du Limon).

Un territoire cohérent malgré son écartèlement

Pas plus qu’il n’est vide, le territoire ne manque finalement de cohérence, malgré son apparente hétérogénéité paysagère et son écartèlement entre plusieurs collectivités dont  pas moins de trois communautés d’agglomération (celles du Plateau de Saclay, de Saint-Quentin-en-Yvelines, enfin de Versailles Grand Parc). A cet égard, Racines d’avenir, sous ses airs de beau livre imprimé sur papier glacé, pose un acte politique fort, fût-ce de manière subliminale, avec la contribution cosignée des présidents de ces trois intercommunalités. Un geste difficilement imaginable il y a quelques années, « tant étaient fortes les fractures générées par les nombreuses divisions administratives qui traversent le territoire » comme le confie Thomas Joly, auteur de la préface. L’occasion au passage de rendre hommage à Terre & cité, cette association qu’il préside et qui, depuis une douzaine d’années, s’emploie à « tisser des liens entre des mondes qui ne se parlent pas d’ordinaire ».

Racines d’avenir : ce titre en forme d’oxymore est particulièrement bien trouvé et rend bien compte de l’esprit de l’ouvrage car (presque) nulle nostalgie ne se dégage des contributions. Les auteurs se défendent d’ailleurs de verser dans ce registre, à commencer par Jacques de Givry lui-même qui écrit joliment : « Il ne s’agit en rien d’une attitude passéiste : les hautes ramures d’un arbre n’ont pas la nostalgie des racines, elles en vivent. » Le même présent d’ailleurs l’ouvrage comme « un état des lieux avant travaux ». En l’occurrence : la construction des établissements de recherche et d’enseignement supérieur qui vont rejoindre le plateau dans le cadre du cluster et l’Université de Paris-Saclay, laquelle sera portée dès cette année sur les fonts baptismaux.

Ne pas oublier les établissements d’enseignement supérieur et de recherche

Mais à trop se tourner vers l’avenir, dans l’attente de voir l’impact de ce double projet, l’ouvrage en ferait presque oublier que le cluster et la nouvelle université s’enracinent déjà dans l’histoire du Plateau. Qu’on songe au CEA, à HEC, à l’École polytechnique, à l’Université Paris-Sud (tout juste représentée à travers notamment ses parcs botaniques), etc. Ils y sont présents depuis plus sinon près d’un demi-siècle. A quoi il faut ajouter la présence ancienne de plusieurs fleurons de l’industrie. Si donc on devait exprimer un regret, ce serait celui-là : le fait ne ne pas souligner suffisamment l’ancienneté de la présence des chercheurs et des scientifiques, comme des entrepreneurs.

Mais on se gardera de bouder notre plaisir, tant l’ouvrage est passionnant à parcourir. Outre les photos de Jacques de Givry et de cinq autres photographes qu’il a associés à son exploration, et des reproductions de cartes postales anciennes, on découvre un échantillon de photos réalisées sur plaques de verre découvertes miraculeusement en Essonne, dans… une benne à ordure. Le comble pour un Plateau que d’aucuns prétendaient vide ! Pas moins de 1 200, prises entre 1897-1905 et soigneusement entreposées dans des boites de fer. Directrice des collections de la Société française de photographie, qui en assume la conservation, Luce Lebart fait le passionnant récit de la manière dont leur auteur et d’autres personnages représentées sur plusieurs clichés ont pu être identifiés, avec le concours de la presse et degénéalogistes amateurs. On se gardera de divulguer leur identité, préférant inviter le lecteur à les découvrir à la lecture du livre. On se bornera à constater que ces photos, en plus d’un vrai talent de photographe, témoignent que déjà en ce temps-là le Plateau était animé d’une riche sociabilité.

En conclusion de sa propre contribution, Jacques de Givry présente l’ouvrage comme le tome 1 d’une collection qui pourrait en appeler un second, rendant compte du même territoire quelques années plus tard. Avec, on le sent bien, une question qui le taraude : si le premier a apporté la démonstration que le Plateau n’était pas si vide, le second ne risque-t-il pas, avec tous les projets en cours, de donner à voir un territoire trop plein, trop dense ? Rien n’est moins sûr. Après des relations de défiance, l’avenir semble placé sous le signe de l’harmonie entre les divers mondes qui composent le Plateau comme en témoignent divers symboles. On pense à  l’entretien des pelouses du Synchrotron Soleil confié à des moutons pour éviter les moindres vibrations… Ou encore à l’emprunt par  les entrepreneurs de termes d’origine agricole ou horticole comme… « pépinières » et « incubateurs » ! Last but not least, il y a ce décret devant inscrire dans le marbre le périmètre de la Zone de Protection des Espaces Naturels, Agricoles et Forestiers (ZPNAF)** de l’OIN Paris-Saclay et qui a été publié au Journal Officiel, le 31 décembre, soit dans le sillage de la publication du livre !

* Vous avez bien lu : Sacaly et non Saclay, pourtant tout proche.

** Pour mémoire, ce décret signé par Cécile Duflot, Ministre de l’Egalité des territoires et du Logement, Philippe Martin, Ministre de l’Ecologie et du Développement durable et de l’Energie et Stéphane Le Foll, Ministre de l’Agriculture, de l’Agroalimentaire et de la Forêt, préserve de l’urbanisation 4 115 ha dont 2 469ha de terres agricoles situées dans les vallées de la Bièvres et de la Mérantaise et sur le plateau de Saclay. Sur les 2 780 hectares (Analyse Fonctionnelle 2011)  cultivés sur le plateau de Saclay, c’est 2 354 hectares qui sont ainsi protégés.

Plateau de Saclay, racines d’avenir, textes de Pierre Bergounioux, Hervé Brédif, Luce Lebart, Elizabeth Trimach, Jacques de Givry ; photographies de Jacques de Givry, collection « Esprit des lieux »,  JDG Publications, 2013, 19 euros. Pour tout renseignements, s’adresser aux JDG Publications  en cliquant ici

Légendes de photos : l’exposition à ciel ouvert organisée à Viltain (en Une, grand format) ; Jacques de Givry décrivant un totem de présentation à Versailles ; couverture de l’ouvrage (en Une, petit format).

 

Sylvain Allemand
Sylvain Allemand

Journaliste

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