Toutes nos publications
Vu d'ailleurs

Paris-Saclay vu du Cambridgeshire…

Le 8 novembre 2018

Durant l’été 2018, nous étions en Angleterre, du côté d’Ely, dans le Cambridgeshire. L’occasion de rencontrer Julien Porré, un expatrié français (à droite, avec son épouse et ses enfants), qui a notamment poursuivi sa thèse sur le Plateau de Saclay au début des années 2000… Témoignage.

– Pouvez-vous rappeler, pour commencer, vos attaches avec Paris-Saclay ?

Ce sont des attaches relativement anciennes, car elles remontent aux années 90 et au début des années 2000, du temps de mes années d’études supérieures. Inscrit à l’Université de Paris 7 Denis Diderot, je résidais à Paris. Mais en 2000, en année de Maîtrise [Master 1], j’avais décroché un stage dans le service de Contrôle Non Destructif par Ultrason du CEA List. J’en ai gardé un très bon souvenir. Au point que quand il s’est agi de faire une thèse – dans le domaine de la physique des ultrasons – j’ai fait en sorte d’intégrer ce même laboratoire. Ce fut quatre années supplémentaires de présence sur le Plateau de Saclay.

– Aviez-vous quitté Paris pour vous en rapprocher ?

Non. Je m’y rendais par les transports en commun : en RER B jusqu’à la station du Guichet puis, de-là, la navette, qui dans mon souvenir, n’était pas toujours facile d’attraper à temps ! Je crois avoir compris que la situation ne s’est pas encore totalement améliorée…

– Si, quand même un peu… Au-delà de la thèse, aviez-vous maintenu des liens avec l’écosystème ?

Oui, au travers de mes premières années d’expérience professionnelle. N’ayant pas trouvé de poste correspondant à mon domaine de recherche, j’ai mis à profit les compétences en informatique scientifique, acquises au cours de ma thèse, pour intégrer une SSII comme consultant. Ce qui m’a permis durant les années 2006-8, de collaborer avec des industriels implantés dans les environs du Plateau de Saclay : Thales Raytheon Systems (à Massy) et Archos, en 2007-08 (à Igny). Quoique resté parisien, c’est donc avec le futur écosystème Paris-Saclay que je continuais à tisser des liens. Des liens, qui se sont ensuite distendus, à partir du moment où j’ai trouvé un emploi correspondant à mon domaine de recherche, chez Ultraflux, une PME spécialisée dans les débimètres à ultrasons, installée à Poissy, dans les Yvelines.
Depuis dix ans maintenant, je m’emploie à appliquer les principes de la physique des ultrasons à la mesure de débits, en y ajoutant la complexité des fluides et des turbulences. Un champ de recherche passionnant, qui revient à faire interagir des univers différents – ceux des ultrasons et des fluides, donc. Il s’agit de tout sauf d’une niche : les fluides étant présents dans tous les processus industriels, nos clients relèvent de nombreux secteurs : pharmaceutique, aéronautique, agro-alimentaire…

Icono pour JPorré2018Picture2– L’entretien que vous m’accordez s’effectue à Ely, près de Cambridge. Qu’est-ce qui vous a amené à vous y expatrier ?

Il y a quatre ans, j’ai été recruté par Oil and Gas Measurement (OGM), qui avait besoin d’un manager pour sa R&D en métrologie. Depuis maintenant quatre ans, je complète sa ligne de produits en développant des débitmètres à ultrasons innovants.

– Dans un esprit start-up ?

En un certain sens, oui. Comparé aux grands noms de l’instrumentation métrologique, nous sommes encore une petite entreprise. Pour survivre, nous sommes condamnés à innover, y compris en termes de services.

– En interagissant avec le cluster de Cambridge ?

Oui. Nous accueillons d’ailleurs régulièrement des thésards et postdocs qui en sont issus.

– L’ancien thésard du CEA de Saclay pourrait-il en accueillir de l’écosystème de Paris-Saclay ?

Oui, bien sûr ! C’est un pont que je ne demanderais qu’à construire entre lui et celui de Cambridge.

– A bon entendeur… Quels défis représente pour le Français que vous êtes le fait de travailler en Angleterre ?

Avant de parler de défis, je parlerai de chance. Ici, il est très facile de monter des projets et, mieux, de les développer, de transformer une TPE-PME en une ETI, de passer de quelques salariés à plusieurs dizaines voire centaines, donc. Ce qu’on parvient encore très difficilement à faire en France. La précédente société où je travaillais était bien parvenue à grandir, mais en se heurtant à un plafond de verre. Ici, en plus de bénéficier d’un tissu de sous-traitants particulièrement riche, les entrepreneurs ont un vrai sens du management et de l’organisation pour faire prospérer leur entreprise, convaincre des investisseurs.

Icono pour JPorré2018LNG_EFMWS_EU-83-1-1024x779– A-t-il été facile de vous adapter à votre nouvel environnement professionnel ?

Pour le Français que je suis, l’expatriation a été un vrai challenge ! D’autant que je m’y suis installé avec mon épouse et mes deux enfants. Mais, ici, on ne vous juge pas : on vous prend tel que vous êtes, ce qui facilite l’intégration. Le diplôme n’a pas autant d’importance qu’en France. Le fait de n’être pas issu d’une grande école, n’a pas été un problème. Ce qui importe, c’est ce que vous pouvez apporter à la réussite de l’entreprise. Que vous fassiez des erreurs ne vous disqualifie pas non plus. On estime qu’au moins vous avez tenté quelque chose et pourrez apprendre de vos erreurs. Forcément, cela motive pour prendre le risque d’explorer des voies nouvelles. Dans le domaine qui est le mien, c’est important de pouvoir le faire.

– Mais, dites-moi, vous décrivez un tableau on ne peut plus rose de la situation. Ne vous heurtez-vous pas à la moindre difficulté ?

Si, bien sûr. En travaillant ici, dans un écosystème aussi riche, on se retrouve immanquablement au carrefour de cultures différentes, y compris dans la manière de travailler. C’est à la fois une richesse et un challenge, d’autant plus grand que nous sommes près de Cambridge, qui, de par son attractivité, tend à attirer des investisseurs du monde entier, avec chacun ses méthodes de travail et de management. Mon entreprise en fournit une parfaite illustration : elle est détenue par des investisseurs étrangers, russes notamment. Un temps d’adaptation a forcément été nécessaire !

– Depuis Ely, continuez-vous à suivre l’actualité de Paris-Saclay ? En avez-vous des échos ?

Honnêtement, non. J’ignorais même, avant que vous m’en parliez, que le regroupement d’universités et de grandes écoles avait été réalisé [à travers la constitution de l’Université Paris-Saclay et de NewUni]. Je considère que c’est une bonne chose car, à mon époque, du temps où j’étais au CEA de Saclay, ce clivage entre ces universités et grandes écoles – une particularité bien française – apparaissait déjà comme une aberration.

– En revanche, depuis Ely, j’imagine que vous observez de près ce qui se passe à Cambridge ?

Oui, bien sûr. Nous n’en sommes qu’à quelques dizaines de minutes, par le train ou en voiture, du moins en temps normal : ici, aussi, les axes routiers ne sont plus tout à fait configurés aux flux de transport ; quant aux trains, ils peuvent être parfois bondés.
Cela étant dit, on ressent bien ici une réelle effervescence, les synergies entre les établissements d’enseignement supérieur et de recherche, publics et privés. On mesure aussi tout le poids des traditions. Rappelons que Cambridge est une agglomération de « Collèges », qui sont eux-mêmes des héritages de l’esprit des monastères, avec des Newton et autres Darwin comme anciens étudiants. Aujourd’hui encore, l’ensemble fait preuve d’un dynamisme incroyable, qui n’a de cesse d’attirer des entreprises de haute technologie, notamment dans le domaine des biotechs et du numérique. Cambridge continue ainsi de s’étendre. Depuis le train, qui mène à Ely depuis Londres, on peut voir d’ailleurs des bâtiments en cours de construction : ce sont de nouveaux laboratoires et centres de R&D. Ce dynamisme se ressent jusqu’à Ely où se construisent des lotissements. Il se traduit aussi par un brassage de populations et de cultures, qui rend la vie d’autant plus appréciable.
Je suis heureux d’apprendre que c’est la direction que prend Paris-Saclay. Espérons que ce cluster parviendra à s’inscrire dans la durée, car c’est ce qui fait manifestement la force de Cambridge.

– Un mot sur le Brexit. Comment appréhendez-vous cette perspective ?

Comme beaucoup, je ne m’étais pas attendu aux résultats du référendum et les ai donc vécus comme un véritable choc. Pour l’heure, je ne perçois toujours pas d’impacts directs sur mon secteur d’activité. Il est vrai que notre société s’est internationalisée bien au-delà de l’Europe. En revanche, nous comptons des fournisseurs en France et sur le reste du vieux continent. De ce point de vue, le Brexit engendre de l’incertitude tant au regard des droits de douane que des délais de livraison. La plupart des personnes que je côtoie professionnellement s’interrogent non sans une certaine inquiétude. Cependant, si tout le monde s’accorde pour dire qu’à court et moyen termes, le Brexit sera source de difficultés pour le Royaume-Uni, en revanche, à plus long terme, certains considèrent que les retombées pourront peut-être être positives pour lui. Qui sait ? Tout dépend de la manière dont les modalités de la séparation seront négociées avec les autres Etats membres de l’Union européenne.

– Si d’aventure vous deviez quitter ce pays – ce que je ne vous souhaite pas compte tenu du plaisir que vous avez visiblement à vivre en Angleterre –, prospecteriez-vous du côté de Paris-Saclay ?

(Rire) Après tout ce que vous m’en avez dit, la réponse est bien évidemment oui ! D’ailleurs, depuis que vous m’en avez parlé, j’ai déjà surfé sur le net pour en savoir plus. Y compris pour y identifier des opportunités de marché !

Publié dans :

Sylvain Allemand
Sylvain Allemand

Journaliste

En savoir plus
L’IA générative, tout ce qu’elle (ne) permet (pas) de faire…
Vu d'ailleurs

L’IA générative, tout ce qu’elle (ne) permet (pas) de faire…

Entretien avec Charles Cosson

Publié le 12 février 2024
Paris-Saclay au prisme d’une artiste peintre… iConnectrice
Vu d'ailleurs

Paris-Saclay au prisme d’une artiste peintre… iConnectrice

Rencontre avec Muriel Paul

Publié le 13 décembre 2023
Vu d'ailleurs

« Paris-Saclay forme le plus grand nombre de spécialistes de l’IA. »

Entretien avec Renaud Vedel.

Publié le 19 avril 2022
Afficher plus de contenus