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Entrepreneuriat innovant

« Mettons l’accent sur les relations plutôt que sur les entités. »

Le 11 juillet 2014

Seconde partie de la rencontre avec Philippe Moreau, le directeur d’IncubAlliance, qui livre en ce mois de juillet 2014 son point de vue sur les dynamiques à l’œuvre à Paris-Saclay et la contribution du premier incubateur technologique francilien, qu’il dirige depuis la fin 2012.

Pour accéder au premier volet du portrait avec Philippe Moreau, cliquer ici.

Attentif aux start-up du Plateau de Saclay, Philippe Moreau l’est aujourd’hui plus que jamais, depuis qu’il a pris la direction d’IncubAlliance, en 2012. A la question de savoir comment il s’est retrouvé à la tête du premier incubateur technologique d’Ile-de-France, lui qui avait renoncé depuis longtemps au salariat pour se consacrer à l’activité de conseil et à l’entrepreneuriat, il met en avant, non sans humour, un motif… géographique.

La rencontre avec IncubAlliance

« Il se trouve que j’ai une maison de campagne à côté de Dourdan. Pour m’y rendre depuis Paris où j’habite, je traverse nécessairement le Plateau de Saclay, qui se trouve à mi-parcours. Forcément, je n’étais pas indifférent à ce qui s’y passait. Je m’étais même rendu à IncubAlliance pour voir ce qu’il était possible de faire avec ses porteurs de projet. Or, le poste de DG était ouvert. C’est tout naturellement que j’ai proposé mes services. » Dix-huit mois plus tard, pas l’once d’un regret dans son témoignage. « Avec ce projet de cluster, nous sommes en train de vivre une vraie aventure collective. S’il réussit, il devrait avoir des effets positifs sur l’ensemble de l’économie de notre pays et sa capacité à innover. » Comment concilier cependant cette ambition collective avec la démarche a priori plus individuelle que l’on associe à tort ou à raison à la notion d’entrepreneur ? « C’est vrai : un entrepreneur, même entouré d’une équipe, s’engage avant tout dans un projet individuel. Tel un artiste, il s’emploie à concevoir et produire une œuvre en innovant. Cependant, aussi individuelle que soit sa démarche d’innovateur, il sait combien il est toujours préférable de s’inscrire dans un projet collectif et humain à même de le transcender comme le fait précisément celui de Paris-Saclay. » Un projet collectif dans lequel IncubAlliance entend bien sûr, fort de ses quatorze années d’existence, jouer un rôle majeur. « Nous existions avant même le lancement du projet de Paris-Saclay. » Une antériorité qui lui a permis de développer une parfaite connaissance du territoire et de ses acteurs. Et de s’imposer comme le premier incubateur technologique de France. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : depuis sa création, IncubAlliance a accueilli plus de 250 projets (dont 50 actuellement en cours) ayant débouché sur la création de prés de 200 sociétés, dont 70% survivent aprés 3 ans, et prés de 1500 emplois directs toujours actifs aujourd’hui. Au-delà de l’écosystème de Paris-Saclay, Philippe Moreau tient à saluer l’écosystème d’innovation français : « Nous autres Français sommes enclins à voir d’abord ce qui ne va pas. Pourtant, nous n’avons pas à rougir par rapport à d’autres pays. Certes, nous ne sommes pas les Etats-Unis où les capital riskers et autres Business Angels sont capables de s’engager tôt et de mettre rapidement plusieurs dizaines de millions de dollars dans un projet. Mais nous empruntons une autre voie, avec un esprit colbertiste qui ménage un rôle important aux pouvoirs publics. Pourquoi pas. » Un modèle dont IncubAlliance ne répugne pas d’ailleurs à être l’archétype : « Cet incubateur a été créé par l’Etat via le Ministère de la l’Enseignement supérieur et Recherche avec le concours des collectivités locales, pour encourager l’amorçage, faire du “ seed monney ” comme disent les Anglo-saxons. » Et le même de poursuivre : « Dire que la France est riche d’un potentiel technologique, d’ingénieurs et d’étudiants de qualité est devenu un lieu commun et on peut le vérifier ici-même, sur le futur Campus Paris Saclay, qui concentre déjà de nombreuses grandes écoles et universités. » Philippe Moreau se veut néanmoins lucide : « Le pays est bien positionné en matière de R&D et pour le nombre de publications scientifiques. En revanche, le bât blesse quant au nombre de brevets actifs ou de start-up qui réussissent à grandir vite à l’échelle mondiale. Ce gap n’est pas nouveau. J’en entends parler depuis une trentaine d’années ! » Et le même de pointer un trait culturel : « Le monde de la recherche a tendance à considérer que sa noblesse réside dans cet objectif : accroître la connaissance humaine. C’est effectivement un objectif noble. Mais à la différence de ce que j’ai pu observer dans les pays anglo-saxons, on cherchera moins à valoriser cette connaissance sous forme d’innovation technologique et, disons le, de succès commercial et financier. C’est me semble t-il encore considéré comme un objectif dégradant. Au contraire, aux Etats-Unis, la perspective bien matérielle d’un beau cash flow jaillissant d’une innovation bien valorisée est considérée comme aussi noble que l’accroissement de la connaissance humaine par la science. » Mais là encore, il se montre confiant. « Les incubateurs comme le nôtre sont une partie de la solution à ce problème. »

Une masse critique unique au monde

Et le projet de Paris-Saclay, en quoi peut-il contribuer à faire changer les esprits, renforcer cette valorisation de la recherche ? En réponse à cette question, Philippe Moreau met en avant la nécessité d’atteindre une masse critique. « Le territoire va accueillir jusqu’à 70 000 étudiants, 30 000 chercheurs… Je ne vois pas d’autres zones, ailleurs en Europe, qui présentent une telle densité. Même Cambridge ou Berkeley en comptent moins. » Au-delà de cet effet de masse, il met en avant les facilités que le double projet du cluster et de l’Université Paris-Saclay permet dans le rapprochement entre les monde de la recherche académique et celui de la R&D industrielle. « Personnellement, je suis en contact régulier avec la Fondation de Coopération Scientifique et l’EPPS. Des initiatives, comme le programme PEEPS, concourent à développer la culture entrepreneuriale. Celle-ci gagne aussi bien les jeunes que des quarantenaires-cinquantenaires qui, après des années passées au sein de grands groupes, éprouvent le besoin de se lancer dans la création de leur propre société. » Mieux, la présence d’écoles de commerce et de management, d’une part, et des écoles d’ingénieurs et des formations scientifiques, d’autre part, favorise l’apparition de « co-entrepreneurs » qui combinent leur compétences commerciales et technologiques. Et quand bien même l’échec est au rendez-vous, il n’est plus aussi rédhibitoire que par un passé pas si lointain. « Au sein d’IncubAlliance, on compte même des serial-entrepreneurs qui ont créé une fois, deux fois, trois fois et qui sont même déjà passé ici quelques années plus tôt. »

Secouer le Shaker !

Bref, à entendre Philippe Moreau, les ingrédients sont là pour impulser une dynamique d’innovation. « Il ne manque plus qu’à secouer encore un peu le shaker ! ». Pour mettre en avant les atouts de Paris-Saclay, il n’envisage pas pour autant ce territoire dans une relation de concurrence avec les autres clusters mondiaux. « On présente encore souvent la route 128, la Silicon Valley ou Cambridge comme les principaux “ concurrents ” de Paris-Saclay. Ce mot ne me paraît pas pertinent. Paris-Saclay ne réussira que s’il est connecté à ces autres clusters, à travers ses étudiants, ses chercheurs, ses partenariats. D’ailleurs, si la plupart de nos incubés sont français, nombre d’entre eux ont une expérience à l’international. » Et, d’ailleurs, IncubAlliance s’est récemment vu décerner le label « Paris International Business Location » par la Région Ile de France, marque de la volonté de l’incubateur de devenir une plateforme d’envol et d’accueil pour toutes les startups technologiques, françaises ou étrangères. Pas plus qu’il n’est en concurrence avec les autres clusters, il ne l’est avec Paris Intra Muros. « Cette ville a encore plein d’avantages dont il faut se réjouir. Mais, qu’on le veuille ou non, c’est encore là que se rencontrent investisseurs et entrepreneurs. et beaucoup de nos incubés qui y sont domiciliés. Paris-Saclay a lui-même été conçu pour être le cluster technologique du Grand Paris. Nous devons donc à la fois rééquilibrer et coopérer avec le centre de la mégapole. En revanche, nous pouvons regretter que tout se décide encore à Paris Intra Muros. La France reste encore trop fortement centralisée. »

Paris-Saclay à l’heure d’une vision… chinoise du monde

Et l’avenir d’IncubAlliance, comment le voit-il ? En guise de réponse, il met en avant deux notions clés : technologie et mutualisation. «
Nous avons vocation à devenir le centre de l’entrepreneuriat technologique mutualisé de Paris Saclay. » Si cette logique de mutualisation est dictée par le contexte de restriction budgétaire, Philippe Moreau veut y voir l’opportunité d’insuffler un nouvel état d’esprit empruntant davantage à la pensée… chinoise. Et le même de renvoyer à son livre de chevet actuel : Du Ciel à la terre. La Chine et l’Occident, un essai de Régis Debray et Zhao Tingyang, paru cette année (aux éditions Les Arènes) autour des différences de vision du monde et de ses défis, entre un Occidental et un Chinois. « Ce qui est intéressant dans la vision chinoise, c’est qu’elle incline à privilégier moins les entités que les relations entre elles.» A la différence de la pensée occidentale plus encline, elle, à distinguer les entités sinon les individus. » Et le même de conclure : « La richesse de Paris-Saclay résidera précisément dans la capacité à mettre ses acteurs en réseaux. Dans cette perspective, IncubAlliance n’entend donc pas asseoir quelque hégémonie dans le monde de l’incubation, mais être davantage le partenaire de référence des établissements de recherche et d’enseignement supérieur, ces derniers ayant leur légitimité pour disposer de leur propre incubateur destiné en premier lieu aux étudiants. Nos jeunes incubés sont déjà dans cette logique de mutualisation et de coopération en n’hésitant pas à s’associer à un diplômé d’une autre grande école ou université que la leur. »

Sylvain Allemand
Sylvain Allemand

Journaliste

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