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Santé

Lowpital ou comment améliorer l’expérience patient au moindre coût.

Le 4 décembre 2018

Suite de nos échos à la célébration des « 20 ans d’innovations en Ile-de-France », organisée le 8 novembre 2018 à CentraleSupélec, à travers le témoignage d’Aude Nyadanu, fondatrice de Lowpital, une entreprise de l’économie sociale et solidaire, qui se propose d’impliquer les citoyens dans l’amélioration de l’expérience patient en milieu hospitalier.

– Si, pour commencer, vous deviez pitcher Lowpital ?

Lowpital est un mouvement d’innovation collaborative pour améliorer l’expérience patient…

– Qu’entendez-vous par là ?

Si je vous demande de vous rappeler la dernière fois où vous avez été hospitalisé, puis de me dire si vous en gardez un bon souvenir, votre réponse sera très probablement…

-… Non !

… Et pas seulement parce que cela correspondait à un moment où votre santé n’était pas bonne, mais aussi parce que vous vous sentiez un peu seul, que l’environnement n’était guère agréable, du fait du bruit et des odeurs, que la nourriture n’y était pas bonne ou encore parce que vous ne disposiez pas de l’information dont vous aviez besoin. Bref, plusieurs facteurs pèsent sur cette expérience patient, qui vont bien au-delà des aspects proprement médicaux et qui font qu’en règle générale, cette expérience est vécue comme quelque chose de désagréable.
Malheureusement, on continue à allouer une grande majorité des ressources aux soins, ce qui est évidemment prioritaire, mais on passe à côté d’autres enjeux, qu’on pourrait pourtant traiter efficacement sans avoir nécessairement besoin d’y mettre beaucoup de moyens ni de solliciter de grandes expertises.

– Que proposez-vous donc exactement ?

Je propose d’impliquer les citoyens eux-mêmes, en les faisant intervenir dans un hôpital en mode collaboratif sur la base d’une méthodologie que nous avons définie. Concrètement, ils participent à un événement, qui se déroule en deux temps : un premier, de trois jours, consistant à s’immerger dans le service d’un établissement de santé pour relever, avec leur regard extérieur de personne en bonne santé, le moindre dysfonctionnement. Le personnel qui y travaille, que ce soit les médecins ou les infirmiers, n’ont plus toujours le recul nécessaire, tant il est pris dans des routines ou qu’il est habitué à son environnement professionnel. De leur côté, les patients, du fait de leur état de santé n’ont pas forcément la capacité de bien percevoir la nature exacte des dysfonctionnements ; et puis, après tout, il ne sont-là que pour quelques temps.
Avec un minimum d’empathie et de sens critique, nos observateurs ont, eux, la capacité de pointer à chaque instant ce qui va ou ne va pas, ce qu’ils accepteraient de supporter ou pas en tant que patients. Bref, ils sont plus en mesure de mettre le doigts sur les besoins « latents » – autrement dit les besoins qu’on ressent, mais qu’on peine à exprimer et qui n’en déterminent pas moins l’impression globale laissée par l’expérience patient. Les informations ainsi recueillies lors des immersions sont rassemblées dans des rapports d’étonnement, que nous fournissons ensuite aux établissements qui nous ont accueillis.

– En quoi consiste le second temps ?

Une fois qu’on a identifié des problèmes, la suite naturelle est de réfléchir à des solutions ! Nous proposons de le faire en s’appuyant sur l’intelligence collective. Ainsi, le temps d’un week-end, appelé le créathon, nous rassemblons toutes les bonnes volontés pour imaginer les solutions qui peuvent répondre aux besoins que l’on a remontés du terrain. Pour cela, nous utilisons des techniques d’idéation issues du design thinking, en ayant la chance d’accueillir une trentaine d’experts bénévoles qui donnent des conseils aux équipes. Le week-end est très rythmé et les participants arrivent à proposer des projets bien ficelés, à créer des landing pages (sites internet de présentation) et à préparer un pitch, et tout cela en un laps de temps finalement assez court  ! Un jury composé de personnalités du monde de la santé et de l’innovation désigne les projets les plus prometteurs, auxquels nous proposons un accompagnement pour les développer.
Quelques exemples de sujets que nous avons traités : comment aider les personnes âgées diabétiques à faire leur suivi avec des outils non digitaux ? Ou encore : comment aider les personnes hospitalisées à faire leur lessive ? Vous m’avez bien entendu. Cela peut paraître anecdotique. C’est en réalité un problème récurrent. Pourquoi ne pas imaginer une application permettant de rencontrer une personne pouvant laver les vêtements de patients hospitalisés ? C’est une piste, parmi d’autres, que nous avons su faire émerger à partir d’un travail d’immersion et de la créativité de citoyens ordinaires.

– Pourquoi parler du « mouvement » Lowpital…

Parce que notre ambition est bien de nourrir un mouvement global, impliquant des citoyens volontaires dans une logique d’intelligence collective, en vue de trouver des solutions à même d’améliorer l’expérience client.

– Quelles peuvent être les motivations de citoyens a priori en bonne santé  à y participer ?

L’expérience patient est une expérience largement partagée ! Qui n’a pas fait au moins un séjour à l’hôpital ou rendu visite à des proches hospitalisés ? Ceux qui n’y sont encore jamais allés savent que ce n’est que partie remise. Pour autant, les personnes qui nous ont rejoints ne le font pas de manière « intéressée » ou personnelle. Elles aspirent à avoir un impact sociétal fort, en étant utiles aux autres. Et pour elles, contribuer à l’amélioration de l’expérience patient est un moyen d’y parvenir. Voilà une première motivation. Mais il y en a d’autres. Pour certaines personnes, c’est une manière de nourrir un projet entrepreneurial dans quelque chose qui ait du sens. Or, participer à notre événement, c’est l’occasion d’aller sur le terrain, de comprendre les besoins d’autres personnes et de se mettre en capacité de proposer un projet pertinent.
J’avancerai une 3e motivation, qui découle de la précédente : saisir l’opportunité de se former à nos méthodes d’idéation et d’innovation, lesquelles ne sont guère éloignées de celles utilisées par des startuppers.

– Combien de personnes avez-vous convaincues de participer à votre événement ?

Depuis la création du concept, au printemps 2017, nous avons déjà organisé deux événements (le premier en juin 2017, le second en avril 2018), auxquels pas moins de 150 personnes ont participé, dont une quarantaine en immersion – vous pouvez ne participer qu’au week-end de créathon.

– Quel est le statut de Lowpital ?

Nous avons un temps songé au statut associatif pour finalement opter pour celui de l’entreprise, mais à vocation sociale et solidaire. Les bénéfices réalisés sont donc réinvestis pour soutenir le développement du projet dont la finalité première est d’avoir, encore une fois, un impact sociétal. Le fait de nous inscrire dans une démarche entrepreneuriale et non associative, nous procure des capacités d’autofinancement et, donc, plus de liberté. Non que nous soyons contre le principe de subventions, mais nous préférons les laisser aux projets qui ne peuvent voir le jour que dans un cadre associatif.

– Quel est néanmoins votre modèle économique ?

Nous travaillons avec les acteurs du secteur de la santé – laboratoires pharmaceutiques, mutuelles, cliniques privées, etc. – auxquels nous proposons de participer à nos événements dans une démarche partenariale (nous n’en organisons pas sur commande). En échange de quoi, ces partenaires peuvent bénéficier de la communication autour de l’événement et recueillir des insights patients auxquels ils ont habituellement difficilement accès. C’est aussi l’occasion pour eux de découvrir notre méthodologie en matière d’idéation et d’innovation. Enfin, ils peuvent valoriser leur participation dans le cadre de leur politique de RSE.

– Quelles sont les compétences que vous avez mobilisées pour enclencher et faire vivre ce mouvement ?

J’ai toujours été intéressée par les enjeux de santé. De là à imaginer que je créerais une entreprise dans ce secteur… Après des études d’ingénieur à Polytechnique, j’ai fait une thèse de chimie organique, qui portait sur des méthodologies de synthèse des médicaments dans la perspective d’une chimie « verte » – et donc aux moindres coût et impact environnemental. En parallèle de ma thèse, j’ai eu une première expérience dans l’événementiel, mais dans un cadre associatif : résidente à la Cité universitaire internationale de Paris dont j’ai été administratrice résidente, j’y ai créé un TEDx. De fil en aiguille et au gré de rencontres, j’ai fini par avoir l’opportunité de monter un premier événement santé. Désireuse d’être utile, j’avais songé à entreprendre, mais sans trop savoir encore à quel besoin je pourrais répondre. Cet événement fut l’occasion d’y voir plus clair et de m’ouvrir de nouvelles portes : peu après, j’étais invitée à participer à S3Odéon – les 3 S pour Sciences, Santé, Société, et Odéon parce que cet événement se déroule au théâtre du même nom. C’était il y a un an, en octobre 2017. Pas moins de 800 personnes du milieu de la santé étaient présentes. Les échanges que j’ai pu avoir à cette occasion m’ont confortée dans l’idée de poursuivre mon projet. Ce que j’ai fait, en parallèle de ma thèse, que j’ai soutenue le 10 octobre dernier. Depuis, je m’y consacre à temps plein.

– Pourquoi ne pas avoir poursuivi dans la recherche ?

On me pose souvent la question. Au prétexte que je me suis lancée dans l’entrepreneuriat, on me dit qu’elle ne m’aura finalement servi à rien. En réalité, c’est tout le contraire. Mes années de thèse m’ont permis de développer une certaine résilience, sans laquelle je doute que j’aurais pu me lancer aussi bien dans l’entrepreneuriat.

– Expliquez-vous…

Au plan des compétences techniques et théoriques, ma thèse n’aura représenté que ça [ elle fait le signe de la main, en écartant à peine le pouce et l’index ]. En revanche, en termes de compétences en management de projet, elle m’aura apporté tout ça [elle écarte nettement ses deux mains]. Et puis, quand vous faites de la recherche, l’essentiel de votre temps, vous le passez à faire des essais, qui, le plus souvent, échouent ! Forcément, au début, vous vous en prenez à vous-même, en vous demandant quelles erreurs vous avez bien pu commettre ; vous vous mettez à douter, y compris quant à votre capacité à mener votre thèse à son terme. Mais au bout de six mois, vous finissez par vous faire une raison : après tout, se planter, au cours s’une thèse, c’est normal. C’est même le propre d’une expérience que de pouvoir échouer sinon déboucher sur aucun résultat probant. Vous passez donc à l’expérience suivante, sans plus prendre les choses trop personnellement. Avec le recul, je m’aperçois que cette résilience – car c’est bien de cela qu’il s’agit – m’est très utile pour affronter les aléas inhérents à une démarche entrepreneuriale. Mon projet, forcément, me tient à cœur au point que j’ai tendance à m’identifier à lui avec le risque, donc, que la moindre remarque critique m’affecte personnellement. Dieu merci, ce n’est plus le cas. J’ai appris à affronter les échecs comme le fait, par exemple, de ne pas convaincre un client potentiel. Il n’est pas intéressé par le projet ? Libre à lui. Moi, je poursuis ma route.

– Encourageriez-vous donc à faire de la recherche doctorale ?

Oui, bien sûr. Car cela est propice à d’autres apprentissages. Comme, par exemple, savoir se débrouiller seul. Quand vous faites une thèse, vous avez beau avoir un directeur et être rattaché à un laboratoire, vous vous devez d’être autonome. Par définition, vous investissez un domaine qui n’a pas encore été exploré. Sans quoi, ce n’est pas un sujet de thèse ! Ce qui peut donner le sentiment d’être quand même un peu abandonné à soi-même. C’est à vous de décider la manipulation que vous ferez. Personne ne viendra vous dire quoi faire.

– Au passage, c’est un beau message que vous adressez quant à la porosité entre le monde de la recherche et le monde de l’entrepreneuriat, deux mondes qu’on a encore parfois tendance à opposer…

Non, ces deux mondes ne s’opposent pas. Au contraire. Et je peux en témoigner comme d’ailleurs bien d’autres entrepreneurs, qui, tout comme moi, ont fait une thèse. Les uns et les autres ont en commun une même appétence pour l’innovation. Un chercheur est par définition un innovateur : à défaut de produits ou services innovants, il peut être amené à concevoir des méthodes ou instruments nouveaux. Comme l’entrepreneur, il procède par essai-erreur.

– Cela dit, gardons à l’esprit qu’entreprendre requiert des compétences en matière de management, marketing, etc.

Oui, vous faites bien de le rappeler. Et votre question est l’occasion pour moi de rappeler que j’ai ajouté une autre formation à mon cursus : je viens d’achever le programme Challenge Plus à HEC Paris, qui accompagne la création d’entreprises innovantes à fort potentiel de croissance, et que j’avais intégré en janvier. Il m’a donné les bases plus business d’un projet entrepreneurial (gestion, compta, marketing…).

– Et PEPITE PEIPS, en quoi a-t-il été utile au développement de votre projet ?

Je l’ai rejoint l’été dernier au titre de doctorante. Cela m’a été très bénéfique. J’ai été deux fois lauréates : du prix régional et du prix national. Ce qui m’a permis de recueillir 10 000 euros de financement. Une somme tout sauf négligeable quand on lance sa société. Je suis actuellement incubée à Station F dans le cadre du programme PEPITE Starter Ile-de-France. Outre le fait de disposer d’un bureau en plein cœur de l’écosystème parisien, c’est l’occasion de rencontrer beaucoup de monde susceptible d’être intéressé par le mouvement Lowpital, d’avoir accès à des workshops, de parfaire ma culture entrepreneuriale.

– Est-ce à dire que vous vous êtes éloignée de l’écosystème de Paris-Saclay ?

Non ! La preuve, je suis ici, à CentraleSupélec, pour participer aux 20 ans d’innovation en Ile-de-France. Je suis par ailleurs inscrite au programme D2E (Diplôme d’Etudiant Entrepreneur), de Paris-Sud. A ce titre, je bénéficie d’un tutorat. Et puis où qu’on soit, on continue à bénéficier du réseau PEIPS. Je reste notamment en contact avec Clémentine Delphin, une de ses responsables, qui m’informe régulièrement de son actualité et me fait intervenir dans des événements de l’écosystème. Récemment, j’intervenais ainsi à l’Université d’Evry dans le cadre d’un atelier entrepreneurial sur le thème « Réalité virtuelle et santé ». Bref, les liens sont là et toujours aussi forts : Lowpital continue à grandir en dehors mais toujours en lien avec Paris-Saclay.

– D’ailleurs vous êtes-vous inscrite à la plateforme Paris-Saclay Start-Up ?

La présentation qui en a été faite m’a convaincue – cette plateforme me permettra de gagner en visibilité, ce qui est essentiel pour nous qui sommes dans une logique communautaire – nous n’aurons donc jamais assez de citoyens volontaires et de partenaires. Il est clair que beaucoup de ceux qui comptent sont présents dans l’écosystème de Paris-Saclay. Qui plus est, cette plateforme permet d’entrer directement en contact avec eux, ce qui est un autre avantage certain. J’ai vu aussi qu’elle dispose d’une rubrique agenda, ce qui permettra de relayer notre actualité – je ne manquerai pas d’y annoncer le moindre de nos événements ! Enfin, à sa manière, elle a la le mérite de rappeler s’il en était besoin qu’on entreprend jamais seul, mais avec les autres. J’ai donc commencé à m’y inscrire, avant d’être interrompue par diverses visites sur mon stand…

– Je vous laisse donc filer, pour vous permettre de parachever votre inscription…

Merci !

A lire aussi les entretiens avec : Jérémy Hervé, Chef de projets Attractivité et Entrepreneuriat, qui a porté, au sein de l’EPA Paris-Saclay, celui de la plateforme Paris-Saclay Start-Up (pour y accéder, cliquer ici) ; Marc Laperche, cofondateur de CocoPlant, une start-up qui a mis au point une solution de filtration naturelle de l’eau pour aquarium, à base de… noix de coco (cliquer ici) ; Amandine Negoti, qui, en plus d’être chargée de partenariats de Start in Saclay, participe à l’aventure WeCashUp, la première plateforme de paiement mobile panafricaine (cliquer ici) ; Ruben Hallali, co-fondateur et CEO de HD Rain, une start-up qui propose de la prévision et mesure pluviométriques à très haute définition (cliquer ici) ; enfin, Laurent Goulenok et Sanna Zdoudou, cofondateurs de la coopérative Muuz, qui conçoit des produits à base de lait fermeté (cliquer ici).

Pour en savoir plus sur Lowpital, cliquer ici.

Sylvain Allemand
Sylvain Allemand

Journaliste

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