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Aménagement & Architecture

L’architecture au service d’une pédagogie d’avant-garde. L’histoire du Cnef (1ère partie)

Le 19 novembre 2012

Ceux qui fréquentent le quartier du Moulon connaissent ce bâtiment. Construit il y a près de quarante ans, le Point F, devenu depuis le CNEF, a été un lieu de formation novateur tant par sa conception architecturale que par la pédagogie qui y était proposée. Avec son style années 1970 et ses alvéoles aménagées au milieu des arbres, il ne laisse pas indifférent. Retour sur son histoire avec l’architecte Alain Lemétais, qui a participé à sa programmation et en a assuré la Maîtrise d’œuvre, avec cet entretien réalisé en octobre 2012.

– Pouvez-vous nous rappeler votre parcours d’architecte ?

J’ai été formé aux Beaux-Arts, à partir des années 50. A l’époque, les études étaient longues, car nous devions poursuivre en parallèle une expérience professionnelle dans des agences d’architecture. Sans compter l’interruption liée au service militaire qui durait alors plusieurs années. Entré fin 1953 aux Beaux-Arts, j’en suis sorti en 1964, avant de passer mon diplôme d’architecte, après un voyage au Brésil, en 1967.

Mon séjour dans ce pays fut pour moi l’occasion de découvrir Brasilia et les réalisations des architectes de la génération Oscar Niemeyer. J’en suis revenu convaincu que le travail de programmation qui précédait la conception architecturale, par la recherche, la réflexion autour du concept le plus à même de répondre aux besoins des destinataires était indispensable.

De retour en France, j’ai voulu poursuivre dans cette intention d’aborder l’architecture à partir de la programmation. D’abord en constituant une équipe d’architectes, puis en nous rapprochant d’un groupe de chercheurs en sciences sociales et humaines – psychologues, sociologues et gens de marketing, la SOCINAT, spécialisée dans les études de marchés et de motivations. Nous nous retrouvions dans le cadre de réunions de travail régulières pour faire connaissance et travailler ensemble sur des projets. En 1969, nous avons décidé de fonder une société commune : l’IRISS, Institut de Recherches et d’Intervention en Sciences Sociales, une équipe d’une dizaine de personnes : Jean-François Maréchal, Hélène Pellet et d’autres sociologues (sans oublier Edith Cresson, démographe de formation…)  et les architectes : Michel Day et moi-même.

L’IRISS deviendra EPSA, Environnement Psycho-Sociologie et Architecture S.A.R.L. plus adaptée et plus spécialisée ; Guy Grimard, futur gérant, y fera ses premières armes. Maurice Sokol et Bernard Chollet, architectes, viendront compléter l’équipe

– Quels étaient vos clients ?

Nous avons très vite trouvé un écho dans le milieu syndical avec qui nous avions, sans le vouloir, tissé des liens en mettant à disposition une salle de réunion que des syndicalistes utilisaient de temps en temps. Cela fut propice à des échanges informels puis autour de projets concrets. C’est ainsi que nous avons aménagé des locaux pour la CFDT, la CGT puis FO… C’est à l’instigation de Robert Cottave, de la section Cadres de cette organisation syndicale, que nous avons réfléchi à un lieu innovant dédié à la pédagogie : la Pédagothèque. La première sera conçue pour le CNIPE, d’autres verront le jour en province : à Nancy, à Toulouse, à Strasbourg… Celle de Paris, dans le Marais, sera conçue de A à Z par nous. Les autres ont bénéficié de notre assistance au niveau de la programmation.

C’est cette filière qui a permis de nouer un contact au début des années 70, avec le CESI, l’organisme qui devait initier ce qui ne s’appelait pas encore le CNEF, mais le Point F, son nouveau Centre de Formation.

– Pouvez-vous nous le présenter ?

Le CESI était un organisme créé au début des années 60 pour répondre aux besoins de formation de cadres intermédiaires, pour de grandes sociétés (Renault et Air France notamment). A cette époque, celles-ci souffraient d’un déficit de cadres entre ingénieurs des Grandes Ecoles et agents de maîtrise. Le CESI proposait donc des formations de longue durée, en favorisant la promotion d’agents « maison » confirmés, généralement de trente–trente cinq ans.

Les stages de formation pouvaient durer jusqu’à 2 ans, à temps complet. Le CESI comptait des établissements en province (à Lyon, à Strasbourg, et Arras). En banlieue parisienne, il disposait de locaux à Boulogne, mais peu fonctionnels. Or la demande était forte : elle montait jusqu’à 400 stagiaires par an, pour une capacité d’accueil de 150 places !

Le tout nouveau directeur de l’antenne parisienne, Henri Butel, une vraie personnalité, souhaitait donc disposer de locaux plus vastes. Notre équipe pluridisciplinaire l’intéressait car il ne voulait pas simplement plus d’espace, mais souhaitait un nouvel équipement susceptible de faire évoluer sa pédagogie. Venu de l’industrie, il n’était pas crispé sur des principes d’architecture, mais était davantage soucieux de l’adéquation de l’organisation spatiale au projet pédagogique.

Une étude de programmation a été lancée en 70 sous la houlette d’Hélène Pellet, psychosociologue, avec le concours de ses collègues. Nous, les architectes, intervenant pour traduire les différentes fonctions que devaient assurer le lieu : l’accueil, la formation, la documentation, mais aussi la rencontre, l’hébergement, la restauration, l’isolement, le spectacle et le sport, le tout devant participer à un cadre de vie propice à l’échange.

– Pourquoi autant d’attention à ces fonctions ?

Les stagiaires devaient rester jusqu’à deux ans sur place, hors week-ends et vacances. Nous devions leur offrir tout le nécessaire. Mais la priorité était donnée à l’échange. A dessein, les logements avaient été conçus de manière spartiate, pour inciter à sortir, privilégier la rencontre avec les autres stagiaires.

A partir de-là, nous avons imaginé plusieurs schémas. Comme dans un jeu de village, on disposait les espaces et les salles en veillant à les mettre en relation. Les inter-relations de chacune des fonctions sur chacune des autres ont été étudiées pour la recherche de locaux susceptibles de les favoriser.

– Dans quelle mesure avez-vous été aidé par l’informatique ?

L’informatique n’avait malheureusement pas encore pénétré notre métier ! Tous nos documents devaient être réalisés à la main ! En guise d’outils, nous n’avions que la planche à dessin, les crayons et la photocopieuse… L’informatique n’est devenue opérationnelle qu’une dizaine d’années plus tard.

– Y-a-t-il eu plusieurs maquettes ?

Nous faisions beaucoup de petites maquettes de volume, mais nous avons plutôt progressé à travers des représentations visuelles. En 1971, Henri Butel souhaitait recueillir la réaction de ses principaux clients et donc disposer d’images pour pouvoir vendre le projet auprès des investisseurs et de son conseil d’administration. La première plaquette de présentation fut lancée, elle mettait déjà l’accent sur l’innovation. On pouvait y lire : «  Au bord de la rocade Saclay-Orsay, région carrefour, université, laboratoires de recherche et entreprises : dans l’axe de l’innovation Paris Sud… » Nous y faisions un parallèle avec la Route 128.

– Vous étiez-vous inspiré de ce qui se faisait ailleurs ?

 Nous ne disposions pas d’assez de temps ni de moyens pour aller voir ce qui s’était fait ailleurs hormis les autres établissements du CESI que nous avons visités en les passant au crible des fonctions. C’est ainsi que nous avons pu relever des constantes : l’administration, l’audiovisuel, l’ordinateur qui commençait à pointer son nez, les services, la recherche…

Après la démarche de programmation, le recueil des besoins, l’étude statistique des surfaces, le bâtiment est le fruit d’un assemblage des idées qui ont émergé de nos débats avec Henri Butel et ses collaborateurs.

– Avez-vous commencé en connaissant, dès le départ, la localisation ?

Non, il y avait plusieurs options. Nous avons réfléchi au concept sans savoir où il allait se poser même si très vite le CESI a opté pour le quartier de Moulon. Le CEA y était déjà présent, de même qu’HEC, l’Ecole Polytechnique… Supélec devait y arriver un peu plus tard. A l’époque, cela prenait quinze à vingt minutes à peine pour s’y rendre depuis Paris. Il n’y avait pas d’embouteillage.

Dès le mois d’octobre 1970, nous avons établi document, avec une implantation possible sur le Plateau de Saclay. Au total, ce sont 18 000 m² qui ont été construits sur un terrain de 75 000 m², pour accueillir 800 stagiaires dont 200 résidents.

– Comment a été reçu le projet par les premiers utilisateurs ?

Le projet ne laissait pas indifférent : il suscitait l’adhésion ou bien l’opposition. Par chance, la Régie Renault, un des principaux bailleurs de fond, y adhérait et a délégué la SERI, son bureau d’études, tout corps d’Etat, avec lequel nous avons travaillé en bonne intelligence. Nos interlocuteurs croyaient dans ce projet et ont accepté notre propre méthode de travail. Nous les voyions deux fois par semaine, pour la mise au point du projet et nous avons sorti dans les temps, le document correspondant à l’avant-projet et le pré-dossier d’exécution, la dernière étape avant le permis de construire.

– Dans quelle mesure avez-vous pris en compte la pédagogie du CESI ?

Nous sommes partis de cette pédagogie même. Celle-ci s’organisait sur la base de groupes de 3 x 8, Henri Butel considérant que 8 était le bon chiffre pour constituer des groupes de travail, qu’on pouvait ensuite agréger pour des séances de synthèse ou des cours magistraux. Dans les unités, en dehors d’un amphithéâtre aménagé au rez-de-chaussée, les salles ont ainsi été conçues pour accueillir des groupes de 8 ou 24 personnes. Elles étaient modulables, au moyen d’un système de cloisons. Les intervenants pouvaient écrire à même les murs, grâce au revêtement approprié. Tout était fait par ailleurs pour faciliter l’échange et permettre des haltes dans des lieux de détente. C’est à partir de l’architecture intérieure qu’a été pensé le projet. Les volumes intérieurs adaptés à une utilisation définie, leurs conditions d’éclairage, d’isolement, de liaison, leur ambiance, étaient prioritaires.

L’enveloppe extérieure était du ressort des architectes qui avaient la charge d’assurer la protection de l’ensemble mais aussi de signaler par les formes, les couleurs, les matériaux utilisés, les espaces extérieurs, la nouveauté et l’originalité du programme.

– Combien de temps a-t-il été nécessaire ?

Les choses sont allées relativement vite. J’ai fait la connaissance d’Henri  Butel en 1970, à Boulogne à l’occasion d’un déjeuner pris en terrasse, sous un soleil printanier. Le projet d’étude était remis en juillet 1970, accompagné d’un calendrier. L’accord définitif du CESI sur le contenu de l’étude a été donné début septembre,  si je me souviens bien, puis sur le rapport final à la fin de la même année. Le permis de construire a été déposé en 1971 et obtenu l’année suivante. En 1973, nous démarrions la construction et, sans attendre l’achèvement, des formations ont débuté cette même année.

Les donneurs d’ordre étaient pressés : le congé avait été donné à Boulogne et ils avaient pris des inscriptions. Très vite, il a donc fallu livrer des unités avant même de disposer de l’ensemble des équipements. Le lieu est devenu opérationnel en plusieurs étapes.

Tant et si bien qu’il n’y a pas eu d’inauguration en bonne et due forme, avec le ruban coupé par un élu. Avec le recul, je le regrette un peu. Mais le contexte politique avait changé. Chaban-Delmas, qui avait suivi le dossier par l’intermédiaire de Delors en lien avec les syndicats, avait quitté le gouvernement et Pompidou était souffrant. Son successeur, Giscard s’est finalement décommandé…

– Et il y eut aussi le choc pétrolier… 

En effet, ce fut un tournant dont le Point F a subi directement les effets. Les entreprises ont commencé à rechigner à envoyer leur personnel deux ans durant (d’autant qu’elles continuaient à les payer !). La durée des stages a été progressivement raccourcie.

Finalement, ce sont les chômeurs qui ont pris la relève des agents de maîtrise en formation. Dans ces conditions, le CESI qui avait un bail emphytéotique a dû le dénoncer faute de pouvoir supporter les charges.Les successeurs n’avaient pas la hargne d’un Henri Butel ni vraiment le désir de se battre pour faire fonctionner un tel lieu. Les choses sont allées à vau l’eau. Un bâtiment a même disparu sous les flammes après l’incendie d’un dépôt de peinture sauvage. En 1981, le Point F était laissé quasi à l’abandon.

– Aviez-vous rencontré des stagiaires ?

Oui, et à leur demande. Traditionnellement, ils fêtaient la fin de leurs stages le vendredi. Ils nous invitaient pour nous interroger sur la manière dont nous avions conçu le lieu. Nous rencontrions d’autres personnes intéressées par notre démarche

– Par exemple ?

Jean-Marc Herbes, pour le Ministère de la Justice, en charge du centre de formation de l’administration pénitentiaire de Fleury-Mérogis. Une sacré personnalité, lui aussi ! A sa demande, nous avons réalisé une étude de restructuration de son école en mettant à profit méthode et recettes, inspirées du Point F que, sans le savoir à l’époque, il a contribué à faire revivre.

– Comment ?

En 1981, alors qu’il venait d’être nommé responsable de la formation au Ministère de l’Intérieur, il reprit contact avec nous pour nous parler d’un bâtiment dont il venait d’hériter, pour avoir notre avis en vue de sa restructuration. Le bâtiment en question n’était autre que le Point F ! Il fut surpris de nous voir arriver avec les plans ! Placé sous la tutelle du Ministère de l’Education Nationale, le Point F avait été affecté au Ministère de l’Intérieur. En 1985, il devenait le CNEF (Centre National d’Etudes et de Formation).

Sylvain Allemand
Sylvain Allemand

Journaliste

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