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Science & Culture

François Bon en résidence sur le Plateau de Saclay (2e partie).

Le 8 mars 2012

L’écrivain François Bon sera 10 mois durant, à compter d’avril, en résidence sur le Plateau de Saclay à l’invitation de l’association Scientipôle Savoirs et Société S[cube] et avec le soutien de la CAPS et du Conseil régional Île-de-France. Texte en deux parties (la seconde, la semaine prochaine).

Ecrivain en résidence, François Bon l’a déjà été, y compris au sein du monde universitaire. « En 1998-2000, j’ai passé deux ans à la Faculté de science de Bordeaux I pour y assurer des cours de français auprès d’étudiants de première année. Des ateliers d’écriture y étaient obligatoires (ils étaient comptabilisés dans les unités de crédit). Pour ma part, j’avais deux groupes, l’un de biologistes, l’autre de mathématiciens. Une expérience intéressante. Un bon observatoire aussi des formes de reproduction des inégalités entre homme et femme (en biologie, les filles étaient majoritaires, tandis qu’en math, c’était l’inverse…). Comment animer des ateliers d’écriture avec des personnes enclines à appréhender le monde à travers une grille de lecture particulière (la biologie, les math…), et a priori peu portées sur la littérature ? Avais-je quelque chose à leur dire et à recevoir d’eux, dans ce type de dispositif ? Telles sont les questions que je me posais. Le soir, on proposait un atelier d’écriture, cette fois ouvert à un plus large public : aux personnels de la fac, aux professeurs, aux thésards… Une expérience qui m’a intéressé, mais que je n’ai pas eu l’occasion de reconduire à ce jour.»

Le travail dans le monde de la recherche

La résidence à venir permettra de le faire, mais en allant plus loin, l’objectif étant d’articuler les centres de recherche aux lieux culturels du territoire, tout en y impliquant les citoyens. Un défi qui n’est pas fait pour déplaire à l’auteur de Sortie d’Usine (son premier livre, publié en 1982, aux éditions de Minuit) : « On a beaucoup écrit sur le monde du travail et l’univers de l’usine en particulier, mais peu sur celui de la recherche et le milieu intellectuel. Ce travail d’écriture sera une manière de l’interroger, d’explorer son rapport au réel, en allant à la rencontre des chercheurs bien sûr, mais aussi de tous ceux qui y travaillent, de l’agent de sécurité au chef cuisinier, en passant par le personnel administratif. La recherche, ce n’est pas que des chercheurs ! C’est un monde avec toutes sortes de gens et de situations de travail qu’on méconnaît.»

Ouvrir le monde de la recherche : c’est d’autant plus important que ladite recherche touche à des enjeux de société sur lesquels les citoyens ont leur mot à dire. « Il y a ici, sur le Plateau de Saclay, des découvertes qui ont des répercussions sur nos vies ou à plusieurs km d’ici. Cela n’est pas sans soulever des questions d’ordre éthique. » CQFD : on est bien dans l’esprit d’ArtScienceFactory qui vise justement à rapprocher ces derniers des chercheurs en plus des artistes.

Pourtant, plusieurs mois se sont écoulés avant la concrétisation du projet : la première rencontre entre Didier Michel et François Bon remonte à avril 2011. Prévu initialement en janvier 2012, le début de la résidence a été décalé en avril 2012. C’est que l’opération, pour être originale et stimulante, se heurte à une certaine inertie quand ce n’est pas des réticences… Didier Michel et François Bon le reconnaissent sans ambages : ils ont essuyé des refus plus ou moins polis d’organismes de recherche. « Nous n’aimons pas la parole non contrôlée » s’est entendu dire le personnel d’un organisme sollicité, par sa direction générale.

François Bon ne paraît pas plus surpris que cela. « En France, il est particulièrement difficile de faire pénétrer la créativité culturelle sur les lieux de travail quels qu’ils soient. » A la différence des Etats-Unis où c’est une pratique courante : « voyez les ateliers de creative writing organisés au sein d’universités ou l’exemple emblématique de Google qui intègre la créativité dans son management. En France, le champ du travail cultive encore le secret. C’est le règne de la propriété et de la hiérarchie. La pratique artistique et culturelle est censée restée en  dehors.»

Du flou, mais des convictions

« A deux mois du début effectif de cette résidence longue durée, nous souhaitons maintenir son profil ouvert, disponible pour d’autres propositions et prêt à se modeler en fonction des spécificités de chaque partenaire…». A ce stade, le projet se laisse donc davantage deviner par ce qu’il ne sera pas. A commencer par être un énième atelier d’écriture qui s’ajouterait à ceux déjà existant. Il ne s’agira pas non plus de dupliquer un atelier d’écriture éprouvé ailleurs. Depuis qu’il en anime, François Bon a acquis cette conviction : le contenu se dessine en fonction de la situation locale, du contexte. « Il émergera de l’écriture. Cela peut commencer par “ que voyez-vous de votre fenêtre ! ” ».

Un lien assuré par ArtScienceFactory

Durant la résidence, ArtScienceFactory assurera le lien entre les institutions et l’écrivain et accueillera sur son site les propositions de textes. Des séances pourront être organisées par les institutions qui le souhaitent : le résultat sera mis en ligne pour être accessible depuis d’autres lieux et poursuivre le travail collaboratif. « Bref, je ne suis pas là pour faire des conférences, encore moins débattre autour de l’intérêt du livre numérique. Ce n’est pas le propos. Mon souhait est de créer un atelier d’écriture nomade et ouvert permettant de travailler en continue et à distance. » François Bon se dit prêt à se rendre là où on le souhaitera.

Avant toute chose, il s’agira de permettre à des gens d’horizons différents, qui vivent à des lieux différents et des rythmes différents au point de pouvoir articuler leur agenda, de vivre malgré tout une expérience commune. Qu’est-ce qu’il en résultera ? Nul ne peut le dire. Et pour cause.

Pour intégrer les outils numériques, les ateliers n’en laisseront pas moins la liberté d’utiliser le bon vieux papier et le stylo, l’intérêt du numérique résidant d’abord dans les possibilités de mise en lien des productions. En guise d’illustration, François Bon cite l’atelier organisé dans un RER (un étage entier avait été réservé aux participants) entre la BNF et Versailles-Chantiers. Si des participants écrivaient au moyen de leur smartphone ou de leur tablette, d’autres continuaient à écrire à la main. Le thème était le paysage qui défilait sous leurs yeux. « Le conducteur nous adressait de temps à autre des messages pour attirer notre attention sur des éléments à ne pas manquer. Au retour, nous avons lu les textes travaillés à l’aller en s’intéressant aux perceptions du paysage, et à leur grande diversité. On a beau emprunter le même train, voir le même paysage, mais on n’en perçoit pas la même chose.»

Au final, il n’est pas jusqu’à la notion de résidence d’écrivain qui ne se trouve renouvelée. « Autrefois, les choses étaient simples. L’auteur devait accoucher d’un livre au terme de son séjour. Cette forme me paraît devenue obsolète.» Son bonheur, François Bon dit le trouver dans l’observation de la manière dont, à mesure que s’enrichit le corpus de textes, évoluent des écritures individuelles, singulières, mais aussi nos manières de penser. « Des textes écrits avec d’autres nous font penser autrement. » Le fait d’inscrire la démarche sur une durée de dix mois permettra de faire mûrir une pensée collective. « Qu’est-ce que les gens en feront, c’est à eux d’en décider. Pour ma part, je trouve mon compte dans ce genre d’expérience. Il en résultera certainement des choses qui donneront lieu à publication, sous la forme d’un livre numérique… ou pas. »

Optimiste, François Bon l’était à l’évidence quant à la possibilité de travailler avec les médiathèques de la CAPS, mais aussi quant à la celle de mettre dans le jeu les chercheurs encore récalcitrants. « Si je faisais un atelier avec des jeunes des Ulis sur ce qui se passe sur la dalle, à partir d’un texte de Peter Handke (L’Heure où nous ne savions rien l’un de l’autre, où il est question d’une dalle de la banlieue parisienne), je ne conçois pas que cela n’intéresse pas les chercheurs qui travaillent sur le visible et l’invisible.»

Pour plus d’information, voir le site de Artsciencefactory.
Pour écouter François Bon dans l’émission « Place de la Toile » sur France Culture.

Sylvain Allemand
Sylvain Allemand

Journaliste

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