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ENS Paris-Saclay, du programme à la réalité.

Le 6 juillet 2020

Le 15 juin 2020, nous étions conviés à une nouvelle visite de l’ENS Paris-Saclay avec, cette fois, pour guide, Anne-Hélène Téménides, l’architecte en charge du projet au sein de l’agence Renzo Piano Building Workshop. Elle a bien voulu nous en dire plus sur l’expérience humaine qu’un tel programme a représentée et la seconde vie professionnelle qu’elle entame au travers de l’Atelier Téménides Architectes, avec l’envie d’«essaimer» (c’est son mot) ce qu’elle a appris dans de nouveaux projets architecturaux.

– Si vous deviez pour commencer par rappeler votre rôle exact dans le projet de l’ENS Paris-Saclay ?

J’ai été en charge du projet aux côtés de Paul Vincent, un des partenaires de Renzo Piano, depuis le concours jusqu’au dépôt du permis de construire et l’APD. Concrètement, j’ai coordonné l’équipe d’architectes – une dizaine de jeunes mobilisés en phase concours – et les ingénieurs des différents bureaux d’études. Naturellement, j’ai été en relation permanente avec le maître d’ouvrage en la personne de Pierre-Paul Zalio (le président de l’ENS Paris-Saclay) et de son chef de projet, Hélène Gobert.
Un rôle on ne peut plus classique, mais qui portait sur un programme exceptionnel et stimulant puisqu’il concernait un lieu de formation et de recherche dont l’ADN est en fait assez proche de celui de l’agence. A l’ENS Paris-Saclay, on aborde les disciplines théoriques, mais aussi le technique et l’humain, un peu comme on aborde l’architecture chez Piano.

– N’empêche, malgré ces affinités et ainsi que vous le précisiez au cours de la visite, le programme s’est révélé particulièrement complexe…

Je confirme ! Je me souviens de ma première surprise en le découvrant, en avril 2013 : il faisait plusieurs centaines de pages. J’ai passé des heures et des heures à le passer au crible, au point d’en avoir fait mon livre de chevet. Outre les salles de classes, les auditoriums, les lieux de restauration, les bureaux administratifs, etc., le futur bâtiment devait accueillir pas moins d’une douzaine de départements d’enseignement et presqu’autant de laboratoires, qui devaient être proches les uns des autres pour faciliter les échanges (un point sur lequel nous reviendrons sans doute). Il en résultait une multiplicité de flux à gérer, des espaces de dimensions et hauteurs variables, le tout devant être ordonnancé dans un ensemble lisible, simple à construire, économe en énergie et en maintenance. Bref, un vrai casse-tête. Aujourd’hui, le projet paraît couler de source. En réalité, nous sommes partis d’une page blanche : 64 000m² de programme à agencer sur un rectangle vierge. Pour le concours, nous avons repris les plans jusqu’à la dernière minute.

– Comment survit-on à une telle complexité ?

Loin de nous abattre, cette complexité nous a stimulés, nous contraignant à trouver des solutions dont certaines innovantes. Je pense en particulier à celle qui a répondu à la demande du maître d’ouvrage de disposer d’espaces modulables. Avec Olivier Canat et Cédric Chaigneau de AIA-Ingénierie, nous avons développé un système de poutres nervurées permettant de franchir des portées de 12 à 16 m. Selon qu’on les place dans un sens ou un autre, elles constituent des caissons de ventilation naturelle ou plus traditionnellement des plafonds nervurés accueillant les réseaux. Ce système constructif hybride et astucieux constitue le squelette de l’ensemble du bâtiment.

– C’est dire si le bâtiment, de par les différents défis techniques qu’il vous a obligés à résoudre peut être un support pédagogique pour l’école qu’il abrite…

Oui, d’autant plus que ces défis ont été relevés avec le précieux concours de ses enseignants-chercheurs, ce qui a ajouté au caractère enthousiasmant du projet. A ce propos, le parti pris de laisser apparent le béton n’a pas répondu à un simple souci esthétique ou à des seules considérations thermiques (le béton a la propriété de capter la fraîcheur). Cela avait aussi du sens au regard des recherches et essais menés par cette école dans le domaine des matériaux.

– Etant entendu que, pour autant, le béton est loin d’être le seul matériau à dominer au plan visuel…

De fait, les façades sont largement vitrées. Et, c’est ce contraste entre la force du béton, exprimée par des pignons opaques et massifs et le jeu des vitrages et des éléments de serrurerie, qui participe à la réussite de l’ensemble.

– Comment en êtes-vous venus à la forme générale, un ensemble de bâtiments disposés de chaque côté d’un jardin central…

La première fois que nous nous sommes rendus sur le site avec le maître d’ouvrage, il faisait mauvais temps. Il n’y avait pratiquement rien aux alentours. Nous avons réfléchi à ce qui rendrait ce lieu agréable et convoqué des images de campus verdoyants comme on en voit dans les pays anglo-saxons, avec des étudiants sur les pelouses. Sauf que nous ne disposions que de 3 ha. C’est ainsi que l’idée du cloître s’est imposée – un cloître ouvert au demeurant, avec son jardin arboré et ses bassins à même d’amener de la fraicheur l’été. Un jardin dessiné, je le précise au passage, par le paysagiste Pascal Cribier, décédé malheureusement en 2015.

– Paysagiste auquel on doit aussi le jardin du campus d’EDF Lab. Dans quelle mesure cette option a-t-elle été dictée par les particularités du contexte : nous sommes sur le Plateau de Saclay, exposé au vent et au sol argileux…

Dès notre première visite, nous avons pu mesurer à quel point le site était effectivement venteux… Ce qui a conforté le choix d’un jardin central entouré de bâtiments, pour procurer un sentiment de protection et de bien-être. De la contrainte du vent, nous avons fait aussi une opportunité pour privilégier de la ventilation naturelle et répondre ainsi à l’exigence d’un bâtiment sobre en énergie. Ce travail sur la ventilation nous a conduits à créer sur le bâtiment nord de hautes cheminées à tirage naturel, qui sont des éléments emblématiques de l’école. Pour en revenir au jardin, il offrait, en plus de l’agrément, la possibilité de traiter de la question de l’eau, particulièrement problématique du fait du caractère argileux du sol, ainsi que vous le rappelez, en contribuant à drainer l’eau pluviale grâce à la pleine terre.

– Venons-en à une autre composante de l’école, sans doute la plus spectaculaire. Je veux parler de l’atrium… Comment y êtes-vous venus ?

Le regroupement de nombreux laboratoires et départements de recherche, qui était requis par le programme nous a conduits à imaginer un bâtiment très épais côté Nord. De là l’idée de ce grand paquebot creusé par un atrium amenant la lumière dans les étages. Le système de passerelles et coursives fait jouer à plein l’effet « sérendipité » pour reprendre un terme évoqué à propos de CentraleSupélec.

– Je peux témoigner du fait qu’on s’y sent bien – aucun effet de serre, malgré la verrière en guise de toiture…

La ventilation naturelle fonctionne comme nous l’avions prévu. Pour la petite histoire, je précise que notre système a été testé dans la célèbre soufflerie Eiffel (située dans le XVIe arrondissement de Paris). Nous avons été tout aussi attentifs à l’acoustique, aidés en cela par le bureau d’études Peutz : il nous fallait éviter de transformer l’atrium en hall de gare ! Nous avons par exemple fait en sorte que les garde-corps soient absorbants.

– Je confirme là encore que l’environnement sonore est lui aussi agréable. Comment avez-vous traité les relations du bâtiment avec son voisinage immédiat ?

A l’époque du concours, le voisinage était quasi inexistant. Nous avons veillé à ce que l’école devienne un élément actif dans l’animation du futur quartier en ouvrant le bâtiment le plus possible sur l’extérieur. A cette fin, nous avons placé au rez-de-chaussée, côté sud, les fonctions les plus ouvertes au public extérieur – le restaurant, la cafétéria, la bibliothèque… De même, côté nord, de grandes baies vitrées ont été privilégiées pour optimiser l’éclairage naturel, mais aussi donner à voir la recherche en train de se faire – un souci cher à Renzo Piano, mais également à Pierre-Paul Zalio.
De manière générale, cette ouverture des rez-de-chaussée est un des leitmotivs de l’architecture de Renzo. Cela concourt, dit-il, à l’urbanité du quartier dans lequel il s’inscrit. Le corollaire de cette transparence, ce sont des baies vitrées qui font entrer la lumière…

– Sachant, et c’est une autre caractéristique, que celle-ci est présente à chaque étage ; les bureaux et salles de réunions disposent de baies vitrées, tandis que les extrémités des couloirs offrent des vues sur l’extérieur…

La lumière est sans doute la variable la plus importante dans le travail de l’architecte. Une pièce baignée de lumière paraît toujours plus spacieuse. Durant la période de confinement, nous avons pu mesurer à quel point c’est un privilège que de vivre dans des espaces lumineux.

– On comprend à vous entendre que le travail de l’architecte ne consiste pas seulement à traduire littéralement le programme d’un maître d’ouvrage : il lui revient de l’interpréter en composant avec le contexte, non sans faire émerger des options, qui n’avaient pas été imaginées d’emblée lors du concours… Je pense en particulier au théâtre, transformé en scène de recherche…

En effet. Pierre-Paul Zalio souhaitait qu’un équipement culturel soit présent dans son école. Un théâtre figurait dans le programme du concours, dont la destination s’est enrichie en travaillant avec des metteurs en scène, des scénographes. Petit à petit s’est imposée l’idée d’une scène qui soit un outil de création et de recherche au service des étudiants et des chercheurs. Ce cas illustre au passage l’importance du dialogue entre le maître d’ouvrage et l’architecte, car cette idée s’est très largement nourrie des échanges entre Pierre-Paul Zalio et Renzo Piano.

– Ce maître d’ouvrage ne s’est-il pas révélé particulièrement exigeant ?

Comme Renzo Piano aime à le dire, il n’y a pas de bon projet architectural sans un bon maître d’ouvrage. Ici le maître d’ouvrage a été remarquable : l’ENS Paris-Saclay a pleinement assumée ce rôle, dans un esprit de dialogue.

– Qu’est-ce qui fait la qualité première d’un maître d’ouvrage ?

Le fait de savoir instaurer une relation de confiance et de respect mutuel, d’avancer dans la même direction, sans réduire le maître d’œuvre au simple rôle d’exécutant. Pour mémoire, l’ENS Paris-Saclay avait pris son temps pour choisir son architecte – elle en avait contacté plus d’une centaine avant d’en retenir quatre-cinq pour le concours final. Mais une fois l’architecte sélectionné, son président, Pierre-Paul Zalio, lui a fait confiance. Non qu’il se soit gardé d’intervenir. Au contraire, il s’est fortement impliqué, en faisant parfois état de désaccords, mais sans imposer ses choix, considérant que les architectes, après tout, c’était nous. Même attitude de la part de son chef de projet, Hélène Gobert. C’est ce travail en vrai partenariat qui nous a permis d’atteindre ce résultat.

– Avant d’en venir à vos projets futurs, j’aimerais savoir ce que vous ressentez à voir ce qui n’existait que sous forme de programme, d’idées, de maquettes, s’incarner des années plus tard dans une réalité tangible, dans laquelle il vous est loisible de déambuler… Ce doit être une expérience particulière, non ?

Oui, bien sûr ! Pour moi, il y a deux moments particulièrement émouvants. Le premier, c’est quand, après la phase de conception du bâtiment, on entre dans la phase de construction et qu’on commence à travailler avec les entreprises. On voit alors les ouvriers s’emparer des plans, mettre en œuvre ce qu’on a conçu pendant des mois, et ériger en grandeur réelle ce qui n’existait encore qu’à l’état de maquettes.

– Sachant que ce premier moment est aussi propice à la résolution de problèmes, qui se posent au moment de la construction…

Avec les entreprises qui ont un savoir-faire, on apprend beaucoup, en effet, au fil de la construction…

– C’est aussi en cela que la présence de l’architecte tout du long du projet est importante : il assure l’orchestration des différentes parties impliquées…

Oui, et l’agence de Renzo n’a jamais envisagé autrement le rôle de l’architecte. Lui seul est en mesure de veiller de bout en bout à la cohérence du projet, à maintenir le niveau d’exigence, à faire face aux aléas qui n’ont pu être anticipés…

– Vous évoquiez un second moment émouvant…

C’est celui où les destinataires du bâtiment – en l’occurrence, les enseignants-chercheurs, les étudiants, le personnel administratif de l’ENS Paris-Saclay – prennent possession des lieux. A fortiori quand le retour est positif comme cela semble être le cas d’après ce que nous a rapporté Pierre-Paul Zalio. Là on se dit qu’on a bien travaillé !

– Un mot sur l’agence Renzo Piano et la manière dont vous l’avez intégrée…

Je suis « tombée dans la marmite » Piano toute jeune. J’avais 22 ans, et n’étais pas encore diplômée de l’Ecole d’architecture de Paris-Belleville. Mon contrat ne devait durer qu’une semaine. Finalement, j’y serai restée près de 30 ans. Et ce fut la meilleure école pour moi.
spaceA l’école d’architecture, dans les années 80-90, les enseignants étaient pour beaucoup des théoriciens. il fallait justifier par le discours le moindre trait qu’on pouvait dessiner. Arrivée à l’agence Renzo Piano, j’ai éprouvé la sensation d’un bain de fraîcheur. On était dans le « faire ». Renzo parlait un langage clair, avec des notions telles que la « lumière », l’ « espace », la « matière ». Le bien-être des gens primait sur le geste architectural.
Le même dit qu’on n’est pas un bon architecte avant 50 ans. D’ailleurs, on ne parle pas d’école d’architecte comme on parle d’école d’ingénieur, mais d’école d’architecture. Comme si celle-ci se bornait à former à une discipline, charge ensuite à ses diplômés de devenir architectes à force d’expérience, en agence et sur les chantiers. Il y a tant à apprendre, tant de choses à connaître, à mettre en forme… qu’il faut une certaine maturité pour en faire la synthèse. A la différence des ingénieurs qui se spécialisent dans un domaine, nous autres architectes devons être des touche-à-tout, convoquer de nombreux champs de compétences, et être à l’écoute de tout, du technique, du sensible, de l’humain, pour trouver ensuite le meilleur équilibre entre tous ces facteurs et si possible les sublimer. C’est dire si, encore une fois, c’est un apprentissage de longue haleine.
J’y ai pris d’autant plus de plaisir que l’agence Renzo Piano porte des projets tous plus intéressants les uns que les autres, autour desquels gravitent des personnes passionnantes et passionnées que j’ai eu la chance de rencontrer.

– Et pourtant vous avez fait le choix de quitter cette agence…

J’ai aujourd’hui passé les cinquante ans ! (sourire). J’ai donc eu envie de créer ma propre agence et concevoir mes propres projets. Ce départ, je le vis cependant moins comme une rupture que comme le début d’une seconde vie, qui me permettra d’essaimer tout ce que j’ai appris dans un environnement peut-être plus proche. Je travaille actuellement sur des logements, des études urbaines, un petit musée.

– Comptez-vous continuer à regarder du côté de Paris-Saclay ?

Oui, bien sûr. C’est un territoire que j’ai appris à connaître et où je me suis liée d’amitié avec plusieurs personnes. Si je pouvais mettre mon énergie et mon enthousiasme au service d’un autre projet utile à cet écosystème, j’en serais bien sûr très heureuse.

Et un grand merci au photographe Michel Denancé pour les photos illustrant l’ENS Paris-Saclay. Pour en savoir plus sur son travail, cliquer ici.

Sylvain Allemand
Sylvain Allemand

Journaliste

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