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Enseignement & Recherche

En attendant le Learning Center.

Le 1 juillet 2019

À force de parler de Paris-Saclay comme d’un haut lieu de recherche et d’innovation technologique, on en oublierait presque que la concentration d’établissements d’enseignement supérieur et de recherche en fait aussi un lieu riche de bibliothèques et autres temples du savoir. Quels en sont les usages, mais aussi l’avenir à l’heure du numérique ? C’est ce que nous avons voulu savoir en consultant Marie-Estelle Créhalet, archiviste-paléographe de formation (3e en partant de la droite), Conservateur, en charge des bibliothèques de CentraleSupélec et impliquée dans le projet du Learning Center de l’Université Paris-Saclay porté conjointement par cette école, l’ENS Paris-Saclay et l’Université Paris-Sud.

– Pouvez-vous pour commencer par préciser ce que recouvrent les bibliothèques que vous dirigez et pourquoi elles sont désignées au pluriel ?

Parce qu’il s’agit de l’ensemble des bibliothèques des différents campus de CentraleSupélec : celui de Paris-Saclay, où nous sommes, mais aussi ceux de Metz et de Rennes. Soit trois bibliothèques organisées en réseau, les ouvrages circulant de l’une à l’autre suivant les besoins. Mais quand bien même n’existerait-il qu’un seul campus, l’usage du pluriel se justifierait encore, car en plus de la bibliothèque aménagée dans un lieu tangible – située au rez-de-chaussée du bâtiment Eiffel, par exemple – il existe une bibliothèque numérique, qui à son tour se décline sous différentes formes : la bibliothèque constituée des documents nativement numériques (les mémoires et thèses d’étudiants), ou qui ont fait l’objet d’une numérisation (documents patrimoniaux en lien avec l’histoire de l’école CentraleSupélec,) ; la bibliothèque d’e-books, accessibles depuis une plateforme mutualisée avec d’autres établissements ; enfin, la bibliothèque des ressources documentaires auxquelles nous sommes abonnés.

– Quel est l’avenir de la bibliothèque constituée de livres imprimés ? Est-elle amenée à disparaître au profit de ces bibliothèques numériques que vous venez d’évoquer ? J’ai bien conscience que la formulation de la question est quelque peu abrupte…

Mais, c’est ainsi qu’elle m’est souvent formulée ! Dès que j’ai débuté ma carrière, au début des années 2000, on m’avait annoncé que les jours de la bibliothèque physique seraient comptés et que le livre numérique qui n’en était pourtant qu’à ses débuts, l’emporterait sur le livre papier. Force est de constater que cela n’a pas été le cas. Le discours s’est même totalement inversé, y compris à propos des bibliothèques. Si les livres sont, de manière générale, moins empruntés, les bibliothèques n’ont en revanche jamais été aussi fréquentées. Pourquoi les gens continuent-ils à s’y rendre, y compris dans des écoles d’ingénieurs comme les nôtres – car le constat vaut aussi pour elles ? C’est ce que je me suis employée à comprendre en menant une enquête auprès de nos étudiants.

– Qu’est-il ressorti de cette enquête ?

Beaucoup d’étudiants mettent en avant le fait que la bibliothèque leur offre un lieu où ils peuvent plus facilement se concentrer, se recentrer sur eux-mêmes. Dans des bâtiments comme ceux de CentraleSupélec, qui sont juste extraordinaires, mais ouverts, la bibliothèque est ainsi perçue comme un îlot de tranquillité. On s’y rend pour ne pas être dérangé !

– Qu’en conclure pour l’avenir des livres imprimés ?

On pourrait craindre qu’ils ne soient là qu’en guise de décoration et que les étudiants continueraient à venir quand bien même on remplacerait les livres par des papiers peints… Toujours est-il que je reste convaincue que c’est l’accès à des livres, qui est la raison d’être d’une bibliothèque. Leur présence est comment une mise en abyme de ce qui se passe dans le cerveau humain. Car cette présence n’est pas le fruit du hasard : chaque livre est sélectionné et enregistré dans le catalogue de façon à pouvoir être localisé et mobilisé. Pour le dire autrement, une bibliothèque n’est pas qu’un simple lieu de stockage comme peut l’être la mémoire dure d’un ordinateur qu’on remplit au fur et à mesure. Une bibliothèque est une affaire de flux. Les ouvrages n’ont pas vocation à y rester en permanence, mais à être remplacés dès lors que nous en jugerons le contenu périmé ou plus pertinent pour nos usagers – dans ce cas, on les retire, pour les donner ou les ranger dans ce qu’on appelle le « magasin ». De là l’analogie avec le cerveau humain, qui de fait ne fonctionne pas autrement : il reçoit de l’information, qu’il traite puis conserve ou élimine selon les besoins.

– A vous entendre, nous mesurons à quel point la bibliothèque est « raisonnée »…

Raisonnée, organisée et je dirai encore vivante. C’est un flux permanent d’ouvrages qui entrent et qui sortent, ainsi que d’usagers, qui vont et qui viennent. Notre travail consiste à s’assurer du bon fonctionnement de ces flux et de veiller à ce qu’ils se croisent.

– Tel est du moins la vision de la professionnelle. Qu’en est-il des étudiants eux-mêmes ? Est-ce ainsi qu’ils vivent la bibliothèque ? Y vont-ils pour s’informer des nouveaux arrivages ?

Il faudrait leur poser la question. Une chose me paraît sûre : à leur arrivée sur le campus, ils n’identifient pas d’emblée la bibliothèque comme un lieu de développement de l’esprit critique, pour reprendre une expression que nous avons beaucoup travaillée avec Fabien Bellet, un enseignant-chercheur de CentraleSupélec, ou encore d’ouverture et de curiosité.

– Pourquoi en est-il ainsi selon vous ?

Dans le cas de l’école CentraleSupélec, la grande majorité des étudiants sortent de deux années de classes préparatoires, soit deux années de travail intensif, synonymes de beaucoup de lectures et de fréquentation de la bibliothèque ou du CDI de leurs établissements respectifs. Aussi, dans leur esprit, ce lieu renvoie d’abord au milieu scolaire. Voilà une première explication. Mais sans doute faut-il aussi interroger la conception traditionnelle des bibliothèques : la disposition des ouvrages par grands découpages disciplinaires et par supports n’incite pas à l’ouverture sur d’autres savoirs. C’est précisément tout l’enjeu du projet du Learning center, que de favoriser la pluridisciplinarité, en remettant en cause ce type de classement et de frontières.

– Avant d’y venir, encore un mot sur les élèves qui fréquentent vos bibliothèques. Constatez-vous des évolutions des usages au fil des trois années qu’ils passent ici ?

Oui et ces évolutions s’observent au niveau des prêts. Globalement, les élèves qui arrivent en première année ne vont pas spontanément à la bibliothèque et ce, pour la raison que j’ai dite : après deux années de travail intensif en classe préparatoire, leur premier réflexe est de vouloir profiter de la vie sur le campus. Ceux qui viennent à la bibliothèque emprunteront essentiellement des ouvrages d’apprentissage des langues (à base de méthode TOEFL, par exemple) et de littérature avec un intérêt renouvelé pour des auteurs classiques : Balzac, Victor Hugo, Stephan Zweig… Au fur et à mesure qu’ils avancent dans leur scolarité, ils empruntent davantage à la bibliothèque. Avec les élèves en 3e année et leurs enseignants-chercheurs, nous sommes ainsi en mesure de poursuivre des projets, qui transforment la bibliothèque en un terrain d’études et d’expérimentations. Ces projets sont d’autant plus intéressants qu’ils sont pour nous l’occasion de changer la perception que les étudiants peuvent avoir de la bibliothèque. C’est tout particulièrement le cas de ceux, qui exigent de disposer de données numériques. Les étudiants découvrent ainsi qu’une bibliothèque peut leur fournir des jeux de données très utiles pour tester des applications : je pense aux données bibliographiques, à celles relatives aux profils de lecteurs ou aux types d’ouvrages empruntés.

– Etant entendu que la bibliothèque reste un lieu propice à ce que vous évoquiez avant qu’on ne débute cet entretien, à savoir la sérendipité…

(Sourire) Nos chercheurs y sont d’ailleurs eux-mêmes très sensibles. Beaucoup nous disent combien il est important pour eux de pouvoir se promener dans les rayonnages, pour chercher un ouvrage sur une thématique donnée et finalement en découvrir un autre, juste à côté, qu’ils ne connaissaient pas, mais qui ne s’en révèle pas moins pertinent pour leur recherche. A défaut de parler de sérendipité, nous parlons de « butinage » dans le jargon des bibliothèques.. Précisons qu’on peut le pratiquer aussi en consultant nos catalogues : une fonctionnalité permet de recenser les notices en lien avec un thème donné, en faisant défiler des étagères de bibliothèque virtuelles. Nous sommes très attachés à ce mode de feuilletage, qui, en plus d’éviter l’écueil du cloisonnement disciplinaire, donne une seconde chance aux ouvrages que nous retirons du libre accès pour les entreposer dans le magasin.

– Preuve s’il en était besoin que le numérique ne s’oppose pas à la bibliothèque classique, mais vient en complémentarité…

Oui, et je dirai même plus : il permet d’en décupler et diversifier les usages. Cependant, reconnaissons qu’un étudiant qui n’aura pas eu l’habitude du butinage physique en viendra plus difficilement au butinage numérique. Quelque chose qu’il me semble important de souligner.

– Encore un mot sur la sérendipité que vous convoquiez aussi pour caractériser l’ensemble de l’établissement de CentraleSupélec…

La sérendipité a été inscrite dès le départ dans le programme du nouveau bâtiment de CentraleSupélec où nous sommes actuellement et celui-ci l’incarne bien au-delà de ce que nous pouvions escompter. Nous la vivons au quotidien et de la manière la plus concrète. Régulièrement, il m’arrive de croiser par hasard tel ou tel collègue et de pouvoir ainsi lui poser une question qui n’avait pas forcément un caractère d’urgence, mais qui m’occupait l’esprit. Précisons que nos bureaux sont à proximité du service informatique, de la direction de la recherche et de plusieurs de ses laboratoires. Ce qui favorise ce genre d’interactions. Les lieux de pause, comme celui où nous sommes installés, sont mutualisés. Nos prenons donc nos pauses café ou déjeuner avec des collègues d’autres services ou départements. Ce qui encore une fois permet d’avoir rapidement des solutions à ses problèmes ou des réponses à ses questions. Un jour, alors que j’avais besoin de motiver des doctorants à s’inscrire dans un Focus Group, j’en ai fait part à des collègues du Laboratoire de Génie Industriel, croisés inopinément ; ils ont aussitôt relayé l’information. Je n’aurais probablement pas obtenu le même résultat si j’avais adressé un email ! Ce genre d’interactions est aussi grandement favorisé avec les étudiants. Sur l’ancien campus [de Chatenay-Malabry], les lieux de la vie étudiante étaient séparés du reste. Ils sont désormais au cœur du campus. C’est ainsi qu’un jour, en rapportant mon plateau au restau U, j’ai découvert les locaux de l’association TV de CentraleSupélec, Hyris. Or, nous cherchions un prestataire video pour un projet de jeu de piste…

– Venons-en au Learning Center dont on se doute qu’il devrait être un accélérateur de sérendipté. Si vous deviez le pitcher ?

Le Learning Center est un projet porté par trois établissements de l’Université Paris-Saclay – outre CentraleSupélec, l’ENS de Paris-Saclay, dont le nouveau bâtiment ouvrira à la rentrée prochaine, et l’Université Paris-Sud et plus spécifiquement son pôle BPC (Biologie, Pharmacie, Chimie). L’objectif est bien sûr de mutualiser nos ressources documentaires. Mais l’ambition va bien au-delà : le Learning Center entend proposer une nouvelle forme de médiation des savoirs tant auprès des publics universitaires (étudiants, enseignants, chercheurs) que des membres du personnel et du grand public. Une ambition que concrétise le choix même de sa localisation : il sera situé en face du IUT, dans le virage de la future ligne 18 du Grand Paris Express, entre le campus universitaire et les quartiers d’habitation appelés à être construits. Ajoutons que la zone d’activité toute proche lui permettra d’interagir aussi avec les entreprises. Bref, le Learning Center entend pleinement s’inscrire dans son territoire. Nous ne partirons pas de rien. Déjà, nous sommes en lien avec le réseau de lecture publique du territoire de Paris-Saclay, qui nous permet de toucher des populations de quartiers dépourvus de médiathèque. En janvier de cette année, nous avons participé à la « Nuit de la lecture », en association avec une libraire locale (Liragif).

– Que deviendra la bibliothèque située dans le bâtiment Eiffel de CentraleSupélec ?

Elle est appelée à disparaître. L’ensemble de ses ouvrages intègreront le fond du Learning Center et son personnel l’équipe en charge d’en assurer le fonctionnement. Nos étudiants n’auront qu’à faire trois minutes à pied pour se rendre dans leur nouvelle « bibliothèque »

– En quoi consisteront vos futures fonctions ?

Elles seront nécessairement différentes. Quant à savoir en quoi elles consisteront précisément, cela reste encore à définir. Une chose est sûre : le Learning Center exigera de nouvelles compétences et de nouveaux métiers, que ce soit pour la gestion des contenus, des publics ou encore de l’innovation – une fonction nouvelle comparée à celles d’une bibliothèque classique. Des collègues de l’innovation pédagogique et de la médiation scientifique de l’Université Paris-Sud nous rejoindront pour y organiser des événements comme ceux programmés dans le cadre de la Fête de la Science.

– Dans quelle mesure ce bâtiment hybride transforme-t-il le métier de conservateur et/ou de bibliothécaire ?

Est-ce que c’est le bâtiment qui transforme le métier ? N’est-ce pas plutôt nous qui transformons le bâtiment ? S’il est clair que le Learning Center appellera, comme je l’indiquais, de nouvelles compétences et de nouveaux métiers, nos missions resteront, en revanche, les mêmes. La transmission des savoirs et leur valorisation figurent déjà dans les missions des services de documentation. Si différence il y a, elle résidera dans le fait d’aller au-delà des ressources physiques ou numériques liées aux livres, par l’organisation de plus d’événementiels. Le Learning Center n’a pas vocation à ne faire que mettre à disposition des ressources. Il se préoccupera aussi de faire se rencontrer ces ressources et des publics potentiellement intéressés, au travers d’événements. Une bibliothèque classique en organise déjà. Mais le Learning center permettra d’aller plus loin. De ce point de vue, nous avons déjà bénéficié du retour d’expérience du Learning Center de Lilliad, à Lille. L’équipe qui l’anime nous a dit combien cette dimension événementielle a changé les métiers.

– Positivement ?

Oui, positivement, et pour toutes les catégories de personnels, y compris ceux de catégorie C, qui, d’ordinaire, sont cantonnés à des missions de classement ou d’accueil du public. Dans le cadre d’un Learning Centrer, ils seront repositionnés en qualité de médiateur. Certes, cela s’observe déjà dans les médiathèques qui font de la médiation autour du livre ou d’autres supports, mais un Learning Center tend à accentuer cette évolution.

– Impliquez-vous les élèves de CentraleSupélec dans la conception de votre propre Learning Center ?

Oui, bien sur, les étudiants sont consultés, tout comme l’ensemble du personnel et nos partenaires. Des enseignants chercheurs et des élèves de 3e année ont d’ores et déjà mis au point une maquette virtuelle qui permet de découvrir le futur bâtiment en mode immersif et de tester les espaces de circulation envisagés, de participer au choix du mobilier, qui sera retenu pour chaque espace. Les retours des étudiants, en particulier, sont plus que positifs. Ils voient bien l’intérêt du Learning Center, à commencer par la possibilité d’y croiser des étudiants d’autres établissements. On sait pertinemment que ce croisement ne s’improvise pas, qu’il faut créer les conditions pour que cette rencontre ait lieu effectivement. Et l’un des moyens de le faire est justement de proposer des activités et des événements – on y revient – susceptibles de tous les intéresser, par-delà leurs domaines de spécialisation.

– A vous écouter, on mesure à quel point vous avez eu l’audace d’inventer quelque chose qui n’existe pas encore, en dehors des références dont celle de Lille que vous avez évoquée…

Oui et en ce sens-là, le Learning Center est à l’image de Paris-Saclay. Pour mener un tel projet, il faut avoir le goût de l’aventure et au-delà une capacité à saisir les opportunités, qui se présentent. Le projet de la maquette virtuelle que j’ai évoqué, est venu suite à une sollicitation d’un enseignant-chercheur – il souhaitait qu’on présente le projet à ses étudiants qui travaillaient sur le concept de la smart city. Le chef de projet n’étant pas disponible, j’ai fait cette présentation. De fil en aiguille, on en est venu à imaginer le principe de recourir au numérique d’abord pour traiter des enjeux de géolocalisation des ouvrages et de livraison au moyen d’un robot… Certes, nous ne sommes pas allés jusqu’au bout de ce projet-ci, mais au moins ces échanges nous ont-ils permis de rencontrer d’autres enseignants-chercheurs qui avaient d’autres idées dont celle d’une maquette virtuelle. C’est au passage cet esprit d’innovation que le Learning Center veut entretenir. Naturellement, comme pour n’importe quel autre projet, nous avons procédé à partir d’un benchmark. Lequel s’est révélé particulièrement précieux. Personnellement, il m’a inspiré de nouvelles idées. Cela étant dit, les nouveaux bâtiments de CentraleSupélec nous mettent au défi d’inventer quelque chose qui soit à leur hauteur. Car, en eux-mêmes, ces bâtiments sont déjà conçus comme un gigantesque Learning center. Le projet Learning Center de Paris-Saclay ne fera pas que tabler sur un mobilier cosy et une ambiance cafétéria pour paraître original et novateur.

– Comment se déroulent les échanges avec le chef de projet ?

Très bien ! Julien Sempéré, puisque c’est de lui qu’il s’agit, était de toute évidence la personne idoine pour porter ce projet : c’est lui qui l’a orienté vers une logique d’innovation, ce dont je me réjouis. Il a su faire comprendre aux futurs usagers ce vers quoi nous voulions les amener. Dans l’esprit de beaucoup, notre Learning Center n’avait pas d’autre vocation que d’être une bibliothèque en plus grand. Alors que ce sera bien mieux que cela comme j’espère vous l’avoir fait comprendre.

– N’avez-vous pas cependant le regret de quitter l’espace actuel avec ses rayonnages visibles de l’extérieur et auquel on accède depuis le grand hall ?

La bibliothèque actuelle bénéficie de fait d’un emplacement privilégié, de surcroît dans l’espace « L’Homme et le Monde ». Cela dit, au quotidien, des dysfonctionnements sont apparus, qui rappellent s’il en était besoin qu’initialement, ce n’était pas un emplacement prévu pour accueillir une bibliothèque. Un escalier de secours débouche en plein milieu de notre salle, qui est régulièrement utilisé par des étudiants pour une tout autre destination. L’entrée principale a dû être bloquée faute de correspondre aux exigences de sécurité… Régulièrement, des personnes échouent devant sans savoir comment accéder à l’intérieur. Enfin, les lieux de stockage sont répartis en différents endroits – cinq, rien qu’au sein du bâtiment Eiffel – tandis que les bureaux du personnel se situent, avec un autre local de stockage, dans le bâtiment Bouygues. Sans compter la quinzaine de salles du bâtiment Bréguet dédiées aux archives administratives… Bref, une situation qui ne saurait perdurer.

– Qu’est-ce qui dans votre cursus vous a prédisposée à devenir Conservateur, directrice des bibliothèques de CentraleSupélec, mais aussi à participer à l’aventure du Learning Center ?

A priori, rien ! De formation, je suis archiviste paléographe, plutôt tournée vers la conservation du patrimoine, la gestion des archives et des fonds anciens. Ma carrière, je l’ai débutée en 2003, à l’Université de Valenciennes et du Hainaut-Cambrésis comme responsable de la section Sciences, puis directrice du service commun de la documentation. En 2008, j’ai rejoint l’université Versailles Saint-Quentin…

– Où enseigne Sylvie Cattelin, l’auteur d’un ouvrage de référence sur la sérendipité [pour en savoir plus, cliquer ici]…

Oui, effectivement ! J’y ai été en charge du projet de construction de la nouvelle bibliothèque du Campus de Versailles, qui devait finalement évoluer vers un projet de Learning Center. Ce fut ma première expérience de construction et d’aménagement d’un bâtiment, que j’ai beaucoup appréciée. Mon seul regret est qu’entre le moment où le projet a été lancé et l’ouverture du bâtiment, le programme ne correspondait déjà plus totalement aux besoins ni aux capacités offertes par le numérique. Si nous avons pu faire évoluer les fonctionnalités, en revanche, nous n’avons pu intervenir sur l’architecture.

– Quand avez-vous rejoint CentraleSupélec ?

En 2016. L’Université de Versailles-Saint-Quentin faisant partie de l’Université Paris-Saclay, j’avais déjà suivi le projet de Learning Center de Paris-Saclay. Ce qui a d’ailleurs motivé ma demande de rejoindre CentraleSupélec. Le projet en était encore à une phase où il était possible de travailler sur le programme. J’ajoute que j’avais été aussi motivée par l’existence d’un fonds ancien, ce qui me permettait de renouer avec mon appétence pour le patrimoine, en tant qu’archiviste-paléographe. Quoi de commun entre les deux – le projet du Learning Center et cette aspiration – me direz-vous. En réalité, ces deux centres d’intérêt partagent un enjeu commun, celui de la transmission. Contrairement à ce qu’on pourrait croire, un archiviste-paléographe se préoccupe davantage de l’avenir que du passé. Sa préoccupation est en effet de transmettre à des générations futures les traces du passé et non de se complaire dans la nostalgie. Or, le motif de mon intérêt pour le Learning Center n’est guère différent : il s’agit de donner le plus largement possible accès aux savoirs.

– Quel regard posez-vous sur l’écosystème Paris-Saclay ? Fait-il sens pour vous ?

J’avais bien sûr entendu parler du projet avant même de rejoindre l’Université Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines, mais c’est une fois à CentraleSupélec, que j’en ai pris véritablement la mesure. Comme j’aime à dire, si je suis venue ici, c’est aussi pour le plaisir de voir des grues ! Autant dire que j’ai été gâtée. A mon arrivée ici, en mars 2016, il y en avait une bonne douzaine d’un côté de la N118, une quinzaine de l’autre côté. Pour moi, Paris-Saclay, c’est avant tout cet esprit de bâtisseur. On sent que quelque chose de nouveau est en train de naître. Certes, cet esprit est moins perceptible du côté de Saint-Quentin ou d’Evry. Mais même les collègues de ces autres pôles de l’écosystème Paris-Saclay, qui nous rendent visite, disent le ressentir aussi. Pour moi, Paris-Saclay c’est aussi l’occasion d’accélérer le décloisonnement des mondes de l’enseignement supérieur et de la recherche, de les ouvrir sur le monde de l’entreprise et la société civile. Ce qui est aussi dans l’ADN d’une école comme CentraleSupélec comme en témoigne l’ouverture de ses bâtiments sur l’extérieur. Moi-même suis de plus en plus amenée à collaborer avec des partenaires avec lesquels je n’imaginais pas travailler un jour. Je pense aux startuppers en particulier. Récemment, nous avons eu l’occasion de rencontrer la start-up Gleeph, qui a créé un réseau social autour du livre – un de nos enseignants-chercheurs a fait travailler ses étudiants sur son business model.

– Un mot sur les conditions d’accessibilité du Plateau de Saclay. Dans quelle mesure altèrent-elles votre enthousiasme ?

Vous voulez sans doute aborder la problématique des transports ? (Rire) Je répondrai alors : vivement la ligne 18 du Grand Paris Express ! D’autant qu’elle donnera tout son sens au projet du Learning Center. Cela étant dit, c’est un territoire qui est déjà relativement facile d’accès, ne serait-ce qu’en vélo. Je le pratique occasionnellement, mais c’est un usage que je vois se développer. Nul doute que l’aménagement de pistes cyclables contribuera encore à son essor. Nul doute non plus que c’est en entretenant l’esprit d’aventure que le territoire trouvera des solutions alternatives, à la hauteur de ses besoins et de ses ambitions.

Crédits photos :
– en illustration de cet article : C. Oriot CentraleSupélec ;
– sur le carrousel du site (illustration du Learning Center) : Agence Beaudouin architectes, MGM Arquitectos » ;
– sur la page d’accueil (portrait de Marie-Estelle Créhalet) : B. Minier/Le Chat bleu.
Sylvain Allemand
Sylvain Allemand

Journaliste

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