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Entrepreneuriat innovant

DigiHall ou comment connecter l’écosystème de Paris-Saclay au reste du monde.

Le 16 avril 2019

Le 28 mars 2019 se déroulait la 2e édition de DigiHall Day sur le thème de l’« IA, (R)évolution technologique et sociétale ». Nous y étions. En voici un premier écho à travers le témoignage de Gregorio Ameyugo, Directeur Europe du CEA List et Manager du DigiHall, qui nous en dit plus sur sa vision d’un écosystème connecté au reste du monde et… le drone qu’il avait alors dans les bras…

– Si vous deviez expliquer pour commencer l’enjeu de DigiHall Day ?

DigiHall Day est un événement organisé par le CEA, Inria, l’IRT SystemX, le pôle Systematic et Télécom ParisTech avec pour vocation de contribuer à l’animation de l’écosystème de Paris-Saclay, en montrant ce qu’on peut faire en termes d’innovation, lorsqu’on fait collaborer académiques, industriels, PME, startuppers… Cela amène tous les acteurs à revoir leurs manières de faire. De longue date, nous avons pris l’habitude de travailler ensemble, d’abord entre organismes de recherche puis avec des industriels. Mais cela n’était plus suffisant. Dans un monde complexe, il faut savoir travailler dans une logique d’écosystème, en association avec un plus large spectre d’acteurs : des start-up et des PME.

– Qu’est-ce que cela change-t-il pour les grands groupes en particulier ?

Classiquement, les grands groupes sont engagés dans une logique de compétitivité et cherchent par conséquent à obtenir les meilleures conditions possibles de leurs fournisseurs. Lesquels sont à l’inverse tentés de travailler avec d’autres clients, des concurrents, offrant des conditions plus favorables. La bonne logique consiste à prendre acte du fait qu’on est désormais tous interdépendants, interconnectés. On ne peut fragiliser telle catégorie d’acteur sans nuire à l’écosystème dans son ensemble. Il faut donc travailler dans une logique win-win, ce qui revient à garder à l’esprit que toutes les parties prenantes concourent à la réussite de l’écosystème. Certes, à court terme, le risque est de gagner moins que si on poussait au plus loin la négociation sur les prix. Mais à long terme, la démarche collaborative est payante. Des industriels de différents secteurs, qui co-investissent en partenariat avec des organismes de recherche dans un même projet de R&D, arrivent à sortir beaucoup plus rapidement de nouveaux produits ou services sur le marché. Pour en revenir à DigiHall Day, on peut dire que c’est l’expression d’un écosystème dont les acteurs ont appris à travailler ensemble. Y sont présentés de nombreux produits ou services sur le point d’être lancés sur le marché, dans des domaines aussi divers que la santé, la mobilité, la ville, etc.

– Qu’aviez-vous dans les bras avant que ne débute cet entretien ?

C’est PRÉDIRE, l’un de mes derniers « bébés » ! Il s’agit d’un drone roulant pour inspecter les égouts ou conduites d’assainissement, que nous avons mis au point en réponse à la problématique à laquelle était confrontée le groupe Veolia. A savoir : les collectivités disposent de moins en moins de ressources financières pour entretenir leurs réseaux d’assainissement, anciens pour la plupart. Une intervention pour y localiser des fuites ou des zones bouchées peut coûter très cher. A partir de ce constat, nous avons donc réfléchi à une solution robotisée, qui permettrait d’assurer des interventions au moindre coût, avec beaucoup de souplesse. C’est le cas avec PRÉDIRE, qui peut se déplacer dans les canalisations en roulant ou en mode amphibie. Il est peu coûteux, y compris en termes de maintenance. Nous l’avons en effet conçu pour que, en cas de casse d’une pièce, celle-ci puisse être re-fabriquée localement en impression 3D. Nous sommes ainsi dans cette logique d’économie circulaire, qui correspond à une autre exigence du groupe Veolia.

– Quel temps s’est-il écoulé entre le moment où le projet a été acté et le moment où vous avez pu tenir la solution dans vos bras ?

(Rire) La décision de lancer ce projet, le premier mené avec Veolia, a été prise en 2014. Nous avons cependant eu ensuite de longues discussions avant d’entrer dans la phase de recherche collaborative. Une fois ces négociations abouties, moins d’un an s’est écoulé avant la réalisation du premier prototype. Quant au prototypage du service de réimpression 3D, il est intervenu avec deux ans de décalage. Il figure désormais dans l’offre adressée par Veolia aux collectivités [pour en savoir plus, cliquer, ici].

– Avez-vous vous-même participé à d’autres projets collaboratifs ?

Oui, au cours de ces sept dernières années, j’ai contribué à lancer une cinquantaine d’autres produits, processus et services sur le marché. Ce sont ainsi plus d’une centaine de millions d’euros de CA, qui ont ainsi été générés chez nos partenaires. Vous pouvez donc imaginer le gain global de valeur et d’emplois induit par l’ensemble de l’écosystème constitué par DigiHall.

– Dans quelle mesure l’apprentissage de l’innovation collaborative accumulé au fil du temps permet de rapprocher la phase de lancement sur le marché ?

Il est clair que les premiers projets ont mis plus de temps avant de démarrer et d’aboutir. On était sur un timing de 4 à 5 ans. Mais la tendance est à l’accélération et ce, pour la raison que vous avancez : les partenaires ont désormais appris à travailler ensemble et à capitaliser l’expérience pour déboucher sur d’autres projets avec de nouveaux partenaires. Selon le domaine, on peut même être sur un timing inférieur à deux ans.

– Mais qu’entendez-vous au juste par écosystème ? Je vous pose d’autant plus la question que, dans le discours que vous avez fait lors de la plénière d’inauguration, vous avez souligné l’importance d’être inséré dans un réseau international – vous êtes d’ailleurs le « Monsieur Europe » du CEA List. Vous êtes même allé jusqu’à citer cette phrase selon laquelle ce n’est pas parce que l’on vient d’un berceau qu’on est condamné à y passer le restant de sa vie, suggérant par-là qu’il y a une autre vie possible en dehors de Paris-Saclay…

D’abord, il faut insister sur la fierté que nous pouvons éprouver à disposer d’un écosystème d’innovation comme celui de Paris-Saclay. Pour par part, je l’ai rejoint dès 2012. De nombreux acteurs clés de l’intelligence artificielle y sont présents. Mais gardons-nous d’être pour autant trop fiers. Aussi beaux et grands que nous soyons, nous ne sommes jamais qu’une goutte d’eau dans un monde qui ne cesse de changer. Dans ce contexte, ceux qui réussissent sont ceux qui sont les mieux connectés aux autres. Pourquoi ? Tout simplement parce qu’ils savent ce qui se passe ailleurs et peuvent ainsi saisir d’autres opportunités. Il y a un mal typiquement français, qui a sévi pendant longtemps, à savoir : considérer qu’ailleurs, c’est forcément moins bien. Parfois, c’est vrai… Mais pas toujours ! Le monde change tellement vite qu’on ne peut plus se permettre de continuer à raisonner ainsi. C’est pourquoi, à travers DigiHall, nous faisons l’effort de connecter l’écosystème de Paris-Saclay au reste de l’Europe pour commencer – le vieux continent est notre première cible, parce qu’on y partage des valeurs communes avec les pays qui le composent. C’est un enjeu majeur si nous voulons continuer à peser au niveau mondial. Mais nous nous devons aussi d’être connectés au reste du monde : aux Etats-Unis et à la Chine, donc. Ce sont certes des concurrents, mais ce sont aussi des clients et des partenaires potentiels. Se connecter aux autres est toujours préférable à l’attitude consistant à se défendre de la concurrence en se repliant sur soi sans plus savoir ce qui se passe ailleurs. Se comporter ainsi n’est pas une alternative sérieuse. Nous sommes donc en train de développer des liens avec ces deux principaux « concurrents » de l’Europe.

– Tout en étant ancrés ici…

Tout en étant ancrés ici ! Concrètement, nous encourageons nos start-ups à prendre pied dans la Silicon Valley, mais certainement pas à y installer leur siège ! Les partenariats qu’elles peuvent nouer là-bas ne peuvent qu’alimenter l’activité ici et y faire grandir d’autres start-up.

– Mais pour se connecter au reste du monde, encore faut-il admettre que tous vos interlocuteurs ne sont pas francophones… Or, toujours dans votre discours, vous sembliez regretter que le français fût la seule langue en usage au DigiHall Day…

C’est un enjeu qui m’est particulièrement cher. Il se trouve que lorsque je suis arrivé en France, en 2009, je ne parlais pas encore français. Voici une anecdote qui en dit long sur l’attachement que vous autres, Français, avez à votre langue, même quand vous évoluez dans un secteur engagé dans une compétition internationale. J’avais intégré une grande entreprise industrielle dont je tairai le nom (rire). A la première réunion de service à laquelle je devais assister, mon N+2 a exigé que personne ne me parle en anglais et désigné mon N+1 comme le premier responsable de mon « processus d’assimilation culturelle »… Le lendemain, j’avais entre les mains les DVD de plusieurs films français : « Le dîner de cons », « La Grande vadrouille », « Les Chevaliers du ciel »… Il y eut plus tard « Le père Noël est une ordure », « Les bronzés font du ski »… C’est ainsi que, semaine après semaine, j’ai progressé dans l’apprentissage de votre langue, grâce aux comédies à la française ! Tant et si bien qu’ aujourd’hui, je me sens aussi français qu’espagnol. Mes propres enfants sont nés ici. Néanmoins, si on veut exister à l’international, il faut questionner cette lingua gallica. Cette année, des partenaires européens non francophones ont fait l’effort de venir jusqu’ici pour visiter notre techshow. Nous devons donc encore adapter nos tables rondes et discours programmés en plénière pour les rendre accessibles à tous. Car pour inspirer nos partenaires, nous devons partager une langue commune. Mais nul doute que l’évolution se fera naturellement lors des prochaines éditions du DigiHall Day, avec l’introduction de séquences en anglais.

A lire aussi les entretiens avec :

Fabien Tschirhart, ingénieur de recherche à l’IRT SystemX, qui présentait IVA, une solution qui apprend de nos déplacements pour mieux nous accompagner dans nos choix, en temps réel (mise en ligne à venir) ;

Eric Lecolinet, maître de Conférences HDR à Télécom ParisTech, qui présentait MobiLimb… un robot en forme de doigt, qui permet d’ « augmenter » les capacités sensorielles de votre smartphone (mise en ligne à venir).

Sylvain Allemand
Sylvain Allemand

Journaliste

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