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Enseignement & Recherche

De l’intérêt général avant toute chose.

Le 27 janvier 2017

Suite de notre rencontre avec Philippe Elias à travers l’entretien qu’il nous a accordé. Après un retour sur l’histoire du site du CEA de Saclay, et les principes qui ont présidé à sa conception et son évolution, il témoigne de son insertion dans l’écosystème de Paris-Saclay. A travers la construction de nouveaux bâtiments de recherche et son engagement au sein de l’association Polvi.

Pour accéder à la première partie, cliquer ici.

– En quoi consistent les Services Techniques du site ?

Ils ont pour fonction d’assurer le moindre de ses approvisionnements – en eau, en gaz, en électricité -, mais aussi le fonctionnement des systèmes informatique, de téléphonie, des divers autres services aux personnels – la restauration, le transport, etc. Je précise que nous avons aussi en charge les abonnements électroniques aux revues scientifiques. Le CEA de Saclay a vocation à devenir la grande bibliothèque scientifique française du nucléaire – en vertu de la délégation accordée par la Bibliothèque nationale de France. A ce titre, nous sommes le contributeur français aux bases de données de l’Agence Internationale de l’Energie Atomique (AIEA), relatives aux applications civiles de l’énergie nucléaire.
Si, donc, je devais résumer mon rôle, je dirais qu’il consiste à faire en sorte que nos chercheurs travaillent dans les meilleures conditions, en se concentrant sur ce pour quoi ils ont été recrutés, à savoir : la recherche, et contribuer ainsi à l’effort de ré-industrialisation du pays, à travers la production d’énergie non carbonée – le nucléaire, mais aussi les EnR.

– Dans quelle mesure cette fonction d’approvisionnement est-elle liée à l’histoire de ce site de recherche, un des tous premiers à s’être implantés sur le Plateau de Saclay, loin de tout ou presque…

Le CEA de Saclay – le plus grand des dix sites que compte le CEA en France – a effectivement rejoint le Plateau de Saclay dès les années 50. Il n’était pas pour autant le premier organisme de recherche à le faire. Le Centre d’Essais des Propulseurs (CEPr) s’est, lui, implanté en 1946, près de l’étang de Saclay (ses chercheurs avaient besoin de beaucoup d’eau pour reproduire le fonctionnement des réacteurs et moteurs de fusées, dans la stratosphère – soit des conditions extrêmes). De même l’Onera y a installé son site historique, en 1946. Je pourrais aussi évoquer le CNRS qui occupe le domaine de Gif-sur-Yvette, également depuis 1946.
Cette présence ancienne d’organismes de recherche tient probablement au fait que de nombreux chercheurs et savants résidaient dans les vallées de l’Yvette et de Chevreuse. Elle s’explique aussi par le besoin de mener des recherches en toute sécurité, loin des lieux habités.
Pour ce qui concerne le site CEA de Saclay, il s’est depuis étendu bien au-delà du périmètre initial, enceint de barbelés, avec l’aménagement du site de l’Orme des Merisiers et les extensions des quartiers de la Vauve (Nano-Innov) et de Moulon (Digiteo). Nous sommes également présents à Bure-Saudron (pour du stockage de déchets radioactifs, en couche géologique – mais aussi la conception de carburants biogaz de seconde génération, à partir de déchets végétaux). Rappelons que nous occupons aussi la moitié de l’hôpital d’Orsay.

– Rappelons encore que le site historique a été conçu par l’illustre architecte Auguste Perret…

Oui. Nous devons à ce dernier le plan du site et plusieurs ouvrages, à commencer par le château d’eau, destiné, à l’origine, à permettre la fabrication du béton sur place – sans doute le plus beau château d’eau de France. Suite à quoi, Auguste Perret a construit le premier bâtiment administratif, où nous sommes actuellement pour les besoins de l’entretien, enfin, la magnifique salle de restauration [en illustration de cet article], située juste en face. Ces différentes constructions ont depuis fait l’objet de réaménagements et de réhabilitations, mais dans le respect de l’esprit du plan initial. Bien d’autres constructions se sont ajoutées depuis. Le site compte pas moins de 375 bâtiments dont 200 occupés, le reste étant des bâtiments de service ou de stockage, construits au fil du temps.
Mais le site de Saclay, c’est aussi plusieurs réseaux d’alimentation (en électricité, en eau, en chauffage). Le site possède également un grand réseau de magnifiques galeries souterraines – elles ont été construites en meulière – nous les faisons d’ailleurs visiter lors des journées du patrimoine ou ponctuellement. Si l’entretien de ces galeries représente un coût, elles n’en offrent pas moins l’intérêt de faciliter grandement les interventions de maintenance.

– A vous entendre, le site s’apparente à une petite ville. A-t-il d’ailleurs été conçu ainsi ?

Oui, le site a clairement été conçu ainsi, par Auguste Perret, dont le nom est d’ailleurs associé à la reconstruction après la guerre d’une ville, le Havre. Le plan organisé autour de grandes allées et avenues est encore d’actualité et respecté. Les bâtiments ultérieurs ont été construits le long de ces axes, là où Auguste Perret avait prévu des emplacements pour des constructions nouvelles. Son plan avait également prévu la séparation entre les bâtiments où se déroulaient les activités les plus sécurisées (les réacteurs nucléaires de recherche) et les autres équipements techniques (l’accélérateur de particules). Une sectorisation comme on en aurait prévu pour une ville en en distinguant les quartiers selon les fonctions.
Aujourd’hui, quelque 7 500 personnes travaillent chaque jour sur le site du CEA de Saclay, qu’il faut pouvoir accueillir dans les meilleures conditions. Nous disposons de quatre salles de restauration, d’une station de traitement d’épuration, dimensionnée pour une population de « seulement » 5 000 « habitants » (aussi une partie des eaux des sanitaires est-elle stockée pour être traitée le week-end).
Nous devons faire face aussi à des consommations importantes d’électricité et de gaz, bien supérieures à celles de communes ordinaires. D’où nos efforts constants en vue d’optimiser l’usage des ressources. Depuis juin 2016, le site est certifié ISO 50 001 pour son management de l’énergie.
Bref, une vraie ville, de 220 ha, avec ses réseaux de chauffage, d’électricité, d’eau, comme je l’indiquais, mais aussi de routes. Des véhicules entrent et sortent chaque jour. Nous avons même des chasse-neige, en cas d’intempéries.
Une ville internationale, serais-je tenté d’ajouter : nous comptons ici pas moins de 40 nationalités. Une réalité méconnue mais indispensable : le CEA ne pourrait pas poursuivre ses activités sans le concours de ces chercheurs étrangers de haut niveau.

– Un mot également sur le parc, qu’on perçoit depuis votre bureau…

Sa conception doit beaucoup à Irène Joliot-Curie, qui se préoccupait du cadre de vie de ses collègues chercheurs ! Pour qu’ils se sentent bien et fassent de la bonne recherche, elle a imposé les grandes allées d’arbres. Nous en comptons 7 000 aujourd’hui sur l’ensemble du site. Sans aller jusqu’à parler d’espace vert, nous nous employons aujourd’hui à mettre en valeur cet autre aspect de notre patrimoine. J’ajoute que l’été, nous y accueillons trois vaches, d’une espèce en voie d’extinction – elles ne sont pas suffisamment productives pour des producteurs de lait ; la seule façon de les protéger est d’en accueillir sur des sites industriels comme le nôtre, où elles servent à tondre la pelouse ! A quoi s’ajoutent sept chèvres pour l’entretien de terres plus difficiles d’accès, et pas moins de trente-six ruches…

– Comment le site soutient-il la comparaison avec d’autres sites qui ont depuis vu le jour sur le Plateau de Saclay et qui, par contraste, pourraient, de par leur aspect clinquant, mettre en évidence l’ancienneté de certains de vos équipements ou bâtiments ?

Le CEA de Saclay recouvre plusieurs réalités. Il y a d’abord ce que nous sommes convenus d’appeler le « cœur du village Auguste Perret », avec, outre ses trois édifices que j’évoquais tout à l’heure, le bâtiment H dédié aux scientifiques (appelé ainsi du fait de sa forme), avec sa grande bibliothèque dédiée au nucléaire, ses réacteurs que nous conserverons pour d’autres usages ou comme éléments du patrimoine scientifique, quand ils auront interrompu leur activité (l’un d’eux, le troisième réacteur à eau lourde français EL3, sert d’ailleurs actuellement de salle d’exposition). Nous sommes bien évidemment attachés à ce village.
Mais cela ne nous a pas empêché de construire dans sa périphérie une série de nouveaux bâtiments ultramodernes : le nouveau siège du CEA, à l’entrée de la porte 306 ; les bâtiments de l’INSTN (le centre de formation aux technologies nucléaires), de NeuroSpin, avec ses grands IRM, etc. A quoi s’ajoute, actuellement en construction, le bâtiment dédié aux neuro-sciences, qui accueillera principalement des équipes de l’Université Paris-Sud et du CNRS, juste à côté de NeuroSpin. Sur l’Orme des Merisiers, dans la partie nord, nous construisons le bâtiment ICE, qui regroupera les équipes de recherche engagées dans le domaine du climat et de l’environnement. Autant de bâtiments HQE, avec des patios, des éclairages naturels, des toitures végétalisées…

– Voilà pour les exigences environnementales, mais qu’en est-il des exigences architecturales : la proximité avec le « village Auguste Perret » vous incline-t-il à en avoir particulièrement sur ce plan-ci ?

Oui, les architectes de nos nouveaux bâtiments sont systématiquement sélectionnés sur concours, par un jury, auquel participent l’EPA Paris-Saclay et les collectivités locales concernées. Les exigences sont d’autant plus grandes que le projet est proche du village : il doit être en cohérence avec le style d’Auguste Perret et son plan. Plus on s’en éloigne, plus les contraintes s’assouplissent au profit, cette fois, d’un souci de cohérence avec les nouveaux bâtiments construits sur le Plateau de Saclay.

– Vous avez parlé de village. A vous entendre, il ne s’agit pas d’un village « gaulois », sur la défensive par rapport aux transformations en cours autour de lui. Et quand bien même subsisterait-il ici et là des barbelés…

Nous sommes moins, effectivement, dans une posture défensive, que de sécurisation du site compte tenu de la nature des recherches qui y sont menées. Cela étant dit, des barbelés ont disparu pour faire place à des clôtures classiques, suite à la distinction de deux zones : l’une à protection renforcée – celle où se concentrent les activités de recherche nucléaire ; une autre, semi-ouverte voire ouverte où nous accueillons et hébergeons nos partenaires. Tout en restant exigeant au plan de la sécurité, nous souhaitons ouvrir de plus en plus cette zone. Nous vérifions juste à l’entrée que les personnes qui se présentent sont bien celles qui sont attendues.

– Dans quelle mesure la dynamique du cluster de Paris-Saclay contribue-t-elle à approfondir les liens avec les différents établissements de recherche et d’enseignement supérieur ?

En réalité, même si on ne parlait pas de Paris-Saclay en tant que tel, avant 2009, des liens ont très tôt été noués avec les établissements de recherche ou d’enseignement supérieur, présents sur le plateau, que ce soit Polytechnique, Supélec, etc. Du temps où je travaillais au Centre Laser Franco-Allemand, j’avais même été approché par Polytechnique qui souhaitait que je l’installe sur le Plateau de Saclay. Très tôt, dès les années 2000, avant que je rejoigne le CEA de Saclay, j’avais entendu parler du projet de Paris-Saclay. L’objectif de ce dernier n’est pas tant de créer un écosystème – il existe déjà – que d’augmenter le nombre de partenaires potentiels, en faisant en sorte que les liens deviennent naturels.
Les résultats se font déjà sentir : des établissements d’enseignement supérieur se sont rapprochés les uns des autres (Centrale de Supélec, l’ENSTA ParisTech, de Polytechnique, de même que l’ENSAE d’HEC…). Je me réjouis aussi de l’arrivée de l’ENS Cachan (désormais ENS Paris-Saclay), une école que je connais bien (le Centre Laser était installé à Arcueil, et nous avions même un projet d’implantation d’un laboratoire sur son campus). Qui plus est, elle contribuera à renforcer le pôle des sciences sociales et humaines, encore sous-représentées par rapport aux sciences de l’ingénieur ou exactes.
De nouvelles filières se constituent ou se renforcent sur le Plateau de Saclay. Je pense en particulier à la filière alimentaire autour de l’Inra et de Danone, rejoints bientôt par AgroParisTech. Bref, une dynamique est bel et bien enclenchée, qui contribue à plus de transversalité – au plan des disciplines comme des filières – et donc à plus d’innovation. Car celle-ci ne se limite plus à un domaine, mais procède par le croisement de technologies et de compétences. Déjà, qui l’eut pensé, le laser offre des perspectives intéressantes à l’industrie agroalimentaire.

– Comment avez-vous perçu le projet de l’OIN ?

Manifestement, il témoignait d’une réelle ambition pour ce territoire. Cependant, il manquait peut-être à ceux qui étaient censés le porter, une connaissance suffisante de ce même territoire, des attentes et besoins de ses « exploitants » futurs. Or, de par mon expérience dans le domaine de la recherche, j’ai acquis la conviction que construire un bâtiment sans impliquer le plus en amont possible celles et ceux auxquels il est destiné, est la meilleure façon de provoquer des déceptions. Tout simplement parce qu’on ne l’aura pas bien programmé ni configuré. Il importait donc que les exploitants du Plateau de Saclay soient entendus. Ce qui était loin d’être le cas en 2009, au moment de la montée en puissance du projet Paris-Saclay.

– De là la création de Polvi ?

Oui. A l’origine, il s’agissait juste d’un club informel réunissant aussi bien des laboratoires que des centres de R&D d’entreprises du Plateau de Saclay, directement concernés par le projet. Club que nous avons ensuite très vite transformé en association loi 1901, pour gagner en visibilité auprès de l’aménageur, des collectivités et des services de l’Etat (préfecture). Elle compte sept membres fondateurs (outre le CEA de Saclay : Thales R&T France, Danone Research, Horiba Jobin Yvon France, l’association AFTI, le C2N – CNRS -, enfin, le Synchrotron Soleil), rejoints depuis par une trentaine de membres dont l’Université Paris-Sud et toutes les grandes écoles. Nous sommes également en lien avec plusieurs acteurs du territoire (l’ADEZAC, Terre et Cité, etc.). L’ancienne directrice des opérations de Thales – Marie Ros-Guézet, en était la première Présidente. Pour ma part, j’en étais le premier Secrétaire Général, mandat que j’ai repris récemment aux côté de Bénédicte Fighiera, Directrice du site de l’ONERA et nouvelle Présidente de Polvi.

– Comment fonctionne concrètement cette association ?

Les membres s’y investissent chacun à titre bénévole, mais en étant mandaté par leurs entités respectives. Pour ma part, je ne parle donc pas en mon nom personnel, mais en celui du CEA de Saclay. Le principe est de tirer un bénéfice commun de nos démarches, et non de défendre les intérêts particuliers de tel ou tel membre. La gouvernance vise le consensus autant qu’il est possible. Dans un souci de préserver notre indépendance, nous ne sollicitons aucune subvention publique. J’ai également renoncé au principe des cotisations, de façon à pouvoir choisir nos adhérents, par cooptation, et à réduire le temps passé au fonctionnement interne de l’association. Polvi se dégage ainsi de toute activité financière. Pour chaque opération engagée, parfois d’un montant très conséquent, nous mobilisons les ressources auprès d’un des membres, qui les refacture ensuite aux autres membres qui y participent.

– Avec le recul, qu’est-ce que vous estimeriez être vos principaux acquis ?

Le premier est d’avoir été reconnu comme un acteur de Paris-Saclay : Polvi est écoutée par l’aménageur aussi bien que par les collectivités et les services de l’Etat. Entre membres, nous sommes parvenus à construire une relation de confiance. Nous parvenons à faire primer l’intérêt général sur l’intérêt particulier, le mal du siècle, s’il en est ! Rien de ce que nous faisons ne doit bénéficier qu’à quelques membres.

– Le fait d’œuvrer dans un écosystème qui promeut par définition le décloisonnement, le collaboratif, le coopératif, etc., ne vous facilite-t-il pas la tâche ?

Certainement. Je pense faire aussi profiter de mon expérience de la négociation avec des acteurs divers, pour parvenir à produire du consensus. Adapter un projet aux différents points de vue pour qu’il soit accepté par l’ensemble des parties, j’en fais désormais mon affaire ! Ce qui me vaut d’ailleurs le qualificatif de « burette d’huile » dans les opérations particulièrement complexes ! De fait, j’aime prendre le temps d’adopter le point de vue de mes interlocuteurs, les analyser et comprendre la marge de négociation qu’ils ont, jusqu’où ils sont prêts à lâcher et rejoindre l’intérêt des autres. Le résultat, c’est un projet que l’on met d’autant plus facilement en œuvre, qu’il a été qu’accepté par tous, quand bien même ne couvre-t-il pas l’intégralité des attentes des uns et des autres. L’important est de s’accorder sur un dénominateur commun et digne d’intérêt.

– Votre association s’est mobilisée autour de la question des transports. Qu’en est-il aujourd’hui ?

Polvi s’est effectivement mobilisé sur cette question, mais sans que celle-ci ait été le motif premier de sa création. De manière générale, nous voulions œuvrer au développement d’un « pôle de vie » (d’où le choix de notre acronyme). Tout chercheur, entrepreneur, investisseur qui arrive d’Orly ou de Roissy, devait pouvoir atteindre le Plateau aussi rapidement que possible. Mais aussi s’y restaurer, accéder à du WiFi, etc. De nombreux autres clusters existent de par le monde. Si, donc, nous voulions sortir du lot, nous devions proposer un cadre de vie et de travail satisfaisant.
Au départ, c’est autour de la question de la restauration collective que nos membres se sont retrouvés. Un enjeu majeur dans un pays comme le nôtre ! Nous nous sommes accordés sur un projet de restaurant interentreprises. Mais très vite, le transport est apparu comme un autre enjeu majeur. Le cluster allait se constituer sur un territoire – un plateau – mal desservi par les transports publics. Les transports sont donc apparus comme le problème n°1. La première action d’envergure de Polvi en la matière a concerné la ligne 18 du métro automatique, à laquelle nous étions bien sûr favorables. Nous avons entrepris de convaincre de son intérêt stratégique à l’échelle du territoire, mais aussi du Grand Paris, cette ligne n’étant pas, au départ, considérée comme prioritaire au regard des flux d’usagers qui en étaient attendus. En réalité, elle conditionnait l’attractivité du cluster, sa capacité à attirer des chercheurs, des entrepreneurs, des investisseurs du monde entier. Pour fonctionner, le cluster avait donc besoin d’une desserte à la hauteur de ses ambitions. Nous nous sommes mobilisés auprès des pouvoirs publics – nous avons été reçus à l’Elysée, à Matignon et au siège de la Région, pour défendre notre point de vue. Le rapport Auzannet de décembre 2012 [Rapport de la mission sur le calendrier pluriannuel de réalisation et de financement du projet de Grand Paris Express], avait considéré la construction de la ligne 18 comme la priorité n°1 du Grand Paris. Bon nombre de nos arguments y avaient été repris, alors même que nous n’avions pas rencontré son auteur !

– Que dites-vous à ceux qui considéreraient qu’on améliorerait le cadre de vie de ces acteurs de la recherche et de l’innovation, mais au détriment des résidents…

Qu’il y a aujourd’hui encore peu d’habitants sur le plateau proprement dit, et que, bien évidemment, ils bénéficieront directement de l’amélioration des conditions de transports et de circulation. Les principales habitations sont concentrées sur le quartier Camille Claudel. Nous militons donc aussi beaucoup pour l’implantation d’une station de métro supplémentaire à celles prévues par la loi. Nous considérons qu’il importe que les résidents de ce quartier puissent eux aussi avoir une station pour se rendre sur le plateau.
Certes, le métro ne résoudra pas tous les problèmes de transport. Il ne pourra pas desservir chaque campus ou site d’entreprises ! Restera le dernier km sur lequel nous planchons également, avec le Stif et la Communauté Paris-Saclay, en vue de créer de nouvelles dessertes de bus. Nous nous employons à sensibiliser nos interlocuteurs à la nécessité de mieux incarner le service public en répondant aux plus près aux besoins des usagers. Il importe que les bus soient confortables, que les gens prennent plus de plaisir à les emprunter. Il ne faut pas que le transport de service public soit un transport de seconde zone.

– En disant cela, allez-vous jusqu’à souhaiter que les transports puissent être aussi des espaces de travail, le temps du déplacement ? Après tout, Paris-Saclay est tourné vers l’innovation : ne doit-on pas innover y compris dans la manière de concevoir le temps de transport ?

C’est un sujet qui nous mobilise aussi. Dans le cadre de l’élaboration de son schéma directeur, la Communauté de Paris-Saclay a organisé des ateliers de travail – l’un sur les besoins des usagers et des habitants, l’autre sur les besoins des entreprises. Les deux ont mis l’accent sur la nécessité d’améliorer l’existant et de le rendre agréable, avec un accès WiFi, par exemple. Nous n’éviterons pas le temps de transport – sauf à, hypothèse improbable, installer tous nos chercheurs et ingénieurs à proximité de leurs laboratoires, si tant est d’ailleurs qu’ils le souhaitent. Autant, donc, faire de ce temps de transport un temps agréable voire convivial, une destination en soi, en remettant l’usager au centre des préoccupations. C’est d’ailleurs pourquoi, en plus d’autres arguments techniques portant sur la limitation des perturbations apportées par le passage d’un métro sur nos installations de recherche, nous avons milité pour un métro aérien, de façon à ce que les usagers puissent profiter de la vue : le plateau, avec ses surfaces agricoles et naturelles, son patrimoine architectural, ses équipements de recherche, est proprement magnifique. Ce que je ne me suis pas interdit de dire lors des enquêtes publiques, en réponse à ceux qui considéraient que le métro allait dégrader le paysage. Autant dire, qu’en la circonstance, le consensus a été impossible à trouver ! Pourtant, le métro aérien peut contribuer au maintien de cette zone naturelle, agricole et forestière : les gens seront d’autant plus désireux de la sauvegarder qu’ils pourront la contempler. Il apportera en outre la démonstration qu’on peut faire coexister des espaces de recherche, de travail, d’innovation dans un environnemental naturel.

– Sans attendre la ligne 18, qui n’arrivera qu’à l’horizon 2024, vous avez lancé des initiatives en vue d’améliorer l’accessibilité du Plateau de Saclay…

Oui, nous avons effectivement mis en place un système de navettes privées interentreprises, qui relie une des portes de Paris jusqu’au Plateau de Saclay : des bus modernes, confortables, équipés de WiFi, ainsi qu’un traçage par Zenbus – une solution de géolocalisation des navettes en temps réel, qui permet à tout un chacun de prendre celle qui lui convient le mieux. Ce système a beaucoup de succès, mais aussi un coût. Il n’a donc pas vocation à rester privé. Pour l’heure, nous nous sommes engagés à en démontrer l’utilité. Quand la démonstration en sera faite, une ligne publique devra, à terme, prendre le relais.
On réfléchit également à d’autres solutions innovantes comme, par exemple, un téléphérique. Rappelons que le territoire dont on parle est un plateau, avec un dénivelé de 60 m par rapport à la ligne du RER B. Or, un bus, c’est 14 tonnes de matériel pour 7 tonnes de passagers transportés (lorsqu’il est plein !). Un système plus léger serait plus conforme aux exigences de développement durable. C’est le cas d’un téléphérique : par définition, la cabine qui descend tire celle qui monte. Au plan énergétique, on n’aurait plus besoin que de l’énergie nécessaire à compenser le poids des personnes. Les bus ne disparaîtraient pas pour autant, bien sûr, mais seraient réservés à la circulation sur le plateau.

– Travaillez-vous sur ce projet de téléphérique ?

Oui et activement, avec le concours d’entreprises, en lien avec les collectivités et l’EPA Paris-Saclay. Les premiers à avoir promu cette idée sur le Plateau de Saclay sont des étudiants de l’ENSTA ParisTech, il y a quelques années. Notre réflexion s’appuie d’ailleurs en partie sur leurs propositions.
Pour les services intermédiaires, nous réfléchissons aussi à des navettes électriques autonomes. Le CEA de Saclay en accueillera deux, à titre expérimental au début du second trimestre 2017, dans le cadre d’un projet multipartenarial piloté par la RATP. Si les résultats sont probants, nous en généraliserons l’usage sur nos sites.

– Preuve que Paris-Saclay peut contribuer à l’innovation dans ce domaine du transport autonome, grâce aux ressources existantes en termes de recherche et d’ingénierie…

Oui. Les navettes automatiques fonctionnent grâce à des logiciels qui demandent à être encore durcis pour éviter tout risque de piratage. Et il est clair qu’entre le Pôle de compétitivité Systematic, l’IRT SystemX et le CEA List, nous disposons ici, sur le plateau, des compétences nécessaires pour y parvenir.

– Au fil de l’entretien, vous avez évoqué de nombreuses institutions – ne serait-ce qu’à travers l’évocation de Polvi dont les membres sont mandatés par leurs institutions respectives. Que dites-vous à ceux qui trouveraient votre vision très institutionnelle alors que Paris-Saclay, ce sont aussi des hommes et des femmes qui interagissent de manière plus ou moins formels, à l’occasion de leurs déplacements et/ou des événements de plus en plus nombreux qui s’y déroulent ?

Le slogan de Polvi est justement de remettre l’humain au centre du cluster de Paris-Saclay. Et sans nous limiter aux seuls chercheurs et ingénieurs. Nous nous préoccupons aussi des étudiants dans nos entreprises : thésards, apprentis, stagiaires, des collaborateurs et autres sous-traitants, ainsi que des visiteurs (on en compte plusieurs centaines de milliers par an sur le plateau). Aujourd’hui plus que jamais, il importe d’améliorer l’environnement de travail. Les gens s’impliquent d’autant mieux dans ce pour quoi on les rémunère qu’on leur offre des conditions de travail mais aussi de transport dignes de ce nom, de façon, tout simplement, à ce qu’ils n’arrivent pas fatigués. Etant entendu qu’on ne peut répondre à tous les désirs, qu’il faut nous assurer que leurs attentes soient légitimes au regard de leur mission et, j’y reviens, de l’intérêt général, qui doit primer sur l’intérêt particulier. Il faut que les gens se sentent bien dans un système d’abord tourné vers l’intérêt général et qu’ils se sentent acteur de cet intérêt. Ils comprendront d’autant plus facilement qu’on ne satisfasse pas tous leurs désirs, qu’un service de transport inter-entreprises ne puisse pas les prendre chacun chez eux, car cela entraînerait un allongement du temps du trajet, en plus d’un d’alourdissement de la facture pour l’employeur. En revanche, on peut apporter des conseils, essayer de trouver une solution pour ceux qui ne bénéficieraient pas directement des avantages de la solution adoptée dans l’intérêt général. L’important est que personne ne se sente mis à l’écart de la construction de ce formidable cluster Paris-Saclay.

Sylvain Allemand
Sylvain Allemand

Journaliste

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