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Balade pédestre sur le Plateau de Saclay.

Le 4 mars 2019

Ils travaillent tous les trois au Bureau des stratégies territoriales (Ministère de la Cohésion des territoires et des Relations avec les collectivités territoriales), en charge notamment du pilotage de l’Atelier des Territoires. Par un jour de septembre, nous les avons conviés à une balade sur le Plateau de Saclay. Isabel Diaz, Florian Muzard et Alexandrine Sens livrent leurs impressions dans un entretien à trois voix.

Isabel Diaz (à droite sur la photo) est responsable du Bureau des stratégies territoriales*, Florian Muzard (au centre) et Alexandrine Sens (à gauche) sont chefs de projet dans ce même bureau, qui, au sein de la Direction générale de l’aménagement, du logement et de la nature (DGALN) et de la Direction de l’Habitat de l’Urbanisme et des Paysages (DHUP), « anime et pilote des missions relatives à la ville et aux territoires durables dans une approche “grands territoires” », dont l’Atelier des Territoires*.
Urbaniste et architecte de formation, avec une expérience en agences d’architecture, la première a rejoint la Fonction publique il y a un peu moins de dix ans. Jusqu’alors, elle travaillait sur des problématiques de coopération urbaine, au sein d’une structure associative et dans une perspective internationale.
Florian Muzard a déjà un long parcours dans les services déconcentrés de l’État et en administration centrale, notamment à la DATAR (devenue le CGET) avec, à chaque fois pour fil rouge, l’action publique territorialisée et le lien entre les services de l’État et les collectivités locales. « J’ai toujours eu un intérêt particulier pour tout ce qui touche au développement local et à l’aménagement du territoire ». En 2017, il rejoignait la DGALN avec la mission de coordonner les schémas d’aménagement régionaux dans les Outre-mers et pour participer au dispositif de l’Atelier des Territoires avec notamment le pilotage de la session « Mieux vivre ensemble dans le périurbain ».
Architecte de formation, Alexandrine Sens a, elle, débuté sa carrière en agences d’architecture et d’urbanisme, avant de passer le concours d’Architecte-Urbaniste de l’État pour exercer au sein de la Fonction publique, qu’elle a intégrée il y a maintenant huit ans. Au sein du bureau, elle pilote actuellement la session de l’Atelier des Territoires « Faire de l’eau une ressource pour l’aménagement », en partenariat avec les agences et offices de l’eau. Elle est également chargée de projet sur le schéma régional d’aménagement, de développement durable et d’égalité des territoires (SRADDET) pour la DHUP.

Tous les trois nous avaient manifesté leur désir de découvrir le Plateau de Saclay d’un peu plus près. « Chiche ! » leur avions-nous répondu. C’est ainsi que rendez-vous avait été donné à la gare d’Orsay-ville par un jour de septembre (le 7) avec au programme : une présentation du projet sous la houlette de Franck Caro, Directeur Général Adjoint en charge de l’aménagement au sein de l’EPA Paris-Saclay, puis un parcours à pied qui devait les conduire tour à tour au 503, au Lieu de Vie, à l’Ecole CentraleSupélec, puis… à l’EDF Lab, au campus de Polytechnique, traversé pour parvenir jusqu’au Radar, avant une descente jusqu’à la station Palaiseau de la ligne B du RER. Heureusement, le temps avait été au beau fixe. Ceux qui vivent le Plateau de Saclay au quotidien n’en apprécieront pas moins la performance (près d’une douzaine de km tout de même !). Naturellement, la balade fut l’occasion de plusieurs rencontres, les unes programmées (avec François Balembois, Directeur de l’Entrepreneuriat et de l’Innovation de l’IOGS, et Eric Haupas, Responsable Immobilier d’EDF Lab) et d’autres fortuites (n’est-ce pas Christian Van Gysel et Laurence Franchiset ?).
Quelles furent les impressions de nos trois invités ? Réponse dans cet entretien à trois voix qu’ils ont bien voulu nous accorder plusieurs semaines après, les souvenirs manifestement toujours vivaces.

IconoFloiranetalli9FM175306– Si vous deviez rappeler, pour commencer, ce qui vous avait motivé à faire cette « balade périurbaine » sur le Plateau de Saclay ?

Florian Muzard : Pour ce qui me concerne, je n’avais jusqu’alors pas encore visité ce territoire. Bien entendu, j’avais vu des plans des projets et savais quels établissements d’enseignement supérieur et de recherche ou grandes entreprises s’y trouvaient ou étaient appelés à le rejoindre, mais aussi curieux que cela puisse vous paraître, je ne l’avais pas encore parcouru, comme vous nous proposiez de le faire, de surcroît sur une aussi longue distance.
J’ajoute que la présentation que vous nous en aviez faite n’avait fait qu’accroître ma curiosité. Elle allait à rebours de l’idée qu’on peut se faire a priori d’un cluster. Qui dit cluster pense en effet d’abord à un ensemble d’entités (des entreprises, des centres de R&D et des laboratoires, des établissements d’enseignement supérieur, etc.) organisées pour interagir, cultiver des synergies. Vous, vous mettiez d’emblée l’accent sur sa dimension territoriale et humaine, à travers le témoignage d’hommes et de femmes, qui y travaillent au quotidien en interagissant de manière plus ou moins formelle. On imagine bien que c’est ainsi que cela se passe. Mais pour saisir cette dimension, il faut un « passeur », quelqu’un qui connaisse suffisamment bien le territoire pour sortir des sentiers battus. En un sens, vous étiez ce possible passeur. La perspective d’une balade en votre compagnie n’en devenait que plus stimulante.
Ensuite, le Plateau de Saclay est un haut lieu de l’histoire de l’architecture. Qu’on songe aux réalisations d’Auguste Perret pour le CEA par exemple. Ces dernières années, s’en sont ajoutées d’autres, dont plusieurs distinguées par de grands prix (Le Lieu de Vie, lauréat de l’Equerre d’Argent, ou le Radar, lauréat du Trophée béton Pro). Autant d’édifices que je ne demandais qu’à voir de près. D’autant que Paris-Saclay offre aussi un intérêt au plan paysager, du fait du travail qu’y mène Michel Desvigne. Ce qu’il me tardait de découvrir aussi.
J’ajoute une dernière motivation : elle tient à la dimension même du projet. Paris-Saclay est aujourd’hui sans équivalent, en France et même en Europe. Certes, notre pays a connu des phases de construction et d’aménagement de grande ampleur durant les Trente glorieuses, mais un chantier aussi ambitieux que Paris-Saclay, situé de surcroît à proximité de Paris, est quelque chose d’inédit. Forcément, cela ne pouvait qu’aiguiser encore ma curiosité [en illustration, notre équipe de randonneurs, sur les hauteurs d’Orsay, partie pour plusieurs heures de marche].

Alexandrine Sens : Comme Florian, je n’avais qu’une connaissance théorique du projet. Je m’étais déjà rendue sur le plateau, mais il y a de cela plusieurs années. J’étais donc intéressée de mesurer l’état d’avancement des travaux, de voir aussi comment le cluster s’insérait dans la géographie du territoire et les paysages. En tant qu’architecte, je souhaitais voir bien sûr les réalisations programmatiques – les bâtiments des grandes écoles qui ont rejoint le Plateau de Saclay ou qui sont appelées à le rejoindre (CentraleSupélec, ENS Paris-Saclay, ENSAE,…), y compris sous l’angle de leur performance énergétique. Comment le cluster parvient-il à faire interagir les mondes de la recherche, de l’enseignement et de l’innovation ? C’est aussi ce que je souhaitais comprendre. De ce point de vue, le programme de visites que vous nous avez proposé était alléchant. Il a permis d’aller au-delà d’une présentation purement institutionnelle en donnant à voir le cluster au travers de témoignages de gens qui y vivent et/ou y travaillent au quotidien.

Isabel Diaz : Quant à moi, je connaissais déjà le Plateau de Saclay, pour y avoir des attaches familiales, du côté du campus de Polytechnique. J’en connaissais bien sûr la vision d’ensemble de l’aménageur. Une vision d’en haut, comme celle, au demeurant intéressante, qui nous a été proposée en introduction de notre visite, par Franck Caro.
Cependant, le tour que vous nous avez proposé m’a fait prendre conscience que je ne connaissais pas autant que cela le territoire, qu’il me restait encore à en découvrir beaucoup de choses. Pour tout dire, je m’en étais aussi fait une idée au travers de ce que des habitants, des chercheurs ou enseignants qui y vivent et/ou travaillent ont pu m’en dire…

– Que vous en disent-ils, en substance ?

Isabel Diaz : Leurs commentaires portent sur au moins trois problématiques. D’abord, la consommation de terres agricoles pour les besoins de la construction de nouveaux bâtiments et l’extension de la voirie. Sans doute que des terres auraient-elles pu être épargnées, jugent-ils. Deuxième problématique qui cristallise les griefs : la différence de traitement entre le plateau et le campus d’Orsay, situé dans la vallée de l’Yvette, et qui aurait gagné à être requalifié. Comment ne pas leur donner raison ? Ce campus, arboré, est proprement magnifique. On touche-là à un problème malheureusement classique dans les projets d’aménagement urbain : des budgets sont prévus pour construire du neuf, sans toujours tirer parti du patrimoine existant. Enfin, troisième problématique : les conditions d’accessibilité et de déplacement du cluster, qui sont encore loin d’être à la hauteur de l’ambition du projet. C’est peu que de le dire.

– Ces différents commentaires et griefs militeraient pour une seconde balade périurbaine ! Pour ce qui concerne les surfaces agricoles, précisons qu’une charte vient d’être conclue, en vue de conforter la ZPNAF (Zone de protection naturelle, agricole et forestière), laquelle est en soi une innovation réglementaire de Paris-Saclay, notons-le au passage. Rappelons aussi le rôle de l’association Terre et Cité, dans la valorisation des activités agricoles et maraîchères. Quant au campus d’Orsay, nous pourrions en visiter l’ancien atelier technique du Lure (Laboratoire pour l’Utilisation du Rayonnement Electromagnétique), qui abrite désormais la MISS (Maison d’Initiation et de Sensibilisation aux Sciences) et le PROTO204, témoignant ainsi de la possibilité de requalifier de manière très originale, d’anciens bâtiments. Enfin, concernant l’accessibilité du Plateau de Saclay, je rappellerai la mobilisation de l’ensemble des grands acteurs de l’écosystème pour mettre en place, sans attendre l’arrivée de la ligne 18 du Grand Paris Express, une plateforme de mobilités, Move In Saclay…  Cela étant dit, que retenez-vous de ce que vous avez pu observer par vous-même ?

Isabel Diaz : En préalable, je tiens à dire combien j’ai été passionnée par votre manière de nous faire entrer dans cet écosystème : à partir des témoignages de porteurs de projets, davantage que par une présentation institutionnelle. Cette entrée par les acteurs éclaire bien ce qui se passe concrètement dans ce cluster en devenir. D’autant, que ces acteurs, nous les avons rencontrés au fil de notre visite, soit dans le cadre de rendez-vous dont vous étiez préalablement convenus, soit de manière fortuite. Il était aussi intéressant de voir comment ces mêmes acteurs s’approprient les nouveaux lieux. Je pense à cette personne [Christian Van Gysel] rencontrée par hasard à l’EDF Lab, que nous visitions, et qui y retrouvait lui-même d’autres personnes pour discuter d’un projet [l’édition 2018 de TEDx Saclay]. Il y a manifestement une vie sur le Plateau de Saclay, au sens où les acteurs vont et viennent d’un lieu à l’autre et ce, malgré les distances à parcourir…

Florian Muzard : Pour ma part, j’ai été bluffé – je n’ai pas d’autre mot – par un lieu en particulier : le 503 [ Isabel et Alexandrine acquiescent ].

– Vous n’imaginez pas à quel point vous me ravissez : c’est un lieu que je trouve personnellement emblématique de Paris-Saclay !

IconoFloianetalii8FM175326Florian Muzard : On a pu lire et écrire pas mal de choses sur les lieux de l’innovation. Le fait de pouvoir en voir un concrètement change la perception du tout au tout. D’autant que nous avons eu la chance de le découvrir au travers de témoignages de startuppers et du responsable du FabLab, en présence du directeur de l’Entrepreneuriat et de l’Innovation, M. Balembois. Ce lieu a encore ceci d’intéressant que c’est un bâtiment ancien, qui a été transformé suite au transfert de l’Institut d’Optique sur le Plateau, pour en faire un lieu d’apprentissage à l’entrepreneuriat innovant… [en illustration, le bâtiment 503].

– Dans le cadre de la FIE (pour Filière Innovation-Entrepreneurs)…

IconoFlorianetalii2PortraitFlorian Muzard : Une filière on ne peut plus originale puisqu’elle permet aux élèves de se former à cet entrepreneuriat innovant au travers de projets concrets, qui les plonge dans un environnement professionnel où tout est fait pour les inciter à créer et innover. Je pense à ces mantras, affichés dans la salle de créativité ou dans les couloirs, qui valorisent le droit à l’erreur ou la prise de risque. Plusieurs m’ont particulièrement plu : « Le plus grand risque n’est-il pas de ne pas en prendre ? » ou encore « Parfois vous gagnez, parfois vous… » Suit le mot « perdez » mais barré, au profit de « apprenez ». C’est une chose d’entendre le discours théorique sur l’entrepreneuriat innovant, ç’en est une autre que de le voir ainsi à l’œuvre. Et manifestement, ça marche. M. Balembois nous a cité l’exemple d’élèves qui avaient essuyé un échec une fois puis une deuxième, avant de parvenir enfin à une solution probante – en à peine deux ans d’activité, leur start-up réalise déjà quelques millions d’euros de chiffre d’affaires. Bref, le 503, avec son espace de créativité, son FabLab, ses start-up sans compter les professionnels de l’accompagnement de l’innovation, qui y sont présents, est un lieu que devraient prendre le temps de visiter tous ceux qui s’intéressent à l’entrepreneuriat innovant. On y prend la mesure de la manière dont cela se passe concrètement.

– Quels ont été vos autres sujets d’étonnement ?

IconoFloiranetAlli6FM175361Florian Muzard : De manière plus générale, le Plateau de Saclay m’est apparu comme un lieu de « convergences » de personnes de différents horizons professionnels et disciplinaires. Mais encore une fois, c’est une chose que de le lire, ç’en est une autre que de le vivre. Comme Isabel, j’ai été frappé par le nombre de rencontres fortuites que vous y avez faites, sous nos yeux. La plus improbable étant celle avec cette chargée de communication d’une grande école rencontrée à l’entrée de la zone boisée, à deux pas du Radar ! Tout semble être fait pour favoriser ces rencontres fortuites et ô combien fructueuses, comme en témoigne cette « rue de la sérendipité » qui traverse l’Ecole CentraleSupélec… [en illustration, les abords du bâtiment Gustave Eiffel de CentraleSupélec].

– Merci pour ce témoignage qui m’incite à revenir sur la problématique de l’accessibilité car, pour que ces rencontres, programmées ou fortuites, aient lieu, il faut que les personnes puissent se déplacer sans trop de contraintes… Mais avant de vous entendre sur ce point, écoutons le témoignage d’Alexandrine Sens…

Alexandrine Sens : Comme Isabel et Florian l’ont dit, la visite, notamment du 503, a permis d’incarner des réalités dont on n’a le plus souvent qu’une connaissance théorique ou livresque. Elle a attesté du fait que quelque chose se passait bien à Paris-Saclay, qu’une communauté tournée vers l’innovation, était en train d’émerger. Cependant, des a priori sinon des doutes subsistent. Au fil de notre pérégrination, je n’ai pu m’empêcher de me demander parfois où j’étais, comment me repérer dans ce vaste territoire. Les rencontres fortuites m’ont paru d’autant plus improbables ! Difficile de croire en effet qu’on puisse croiser autant de connaissances sur un tel territoire aussi peu dense, hormis certains quartiers.

– Et l’architecte que vous êtes, comment a-t-elle perçu cet écosystème qui a accueilli plusieurs projets d’architectes de renom – qu’on songe à l’Ecole CentraleSupélec, de l’agence OMA ; à l’ENS Paris-Saclay, de Renzo Piano ; ou à l’EDF Lab de Francis Soler – ou prometteurs – cf Le Lieu de Vie, signé du Studio Muoto ?

IconoFloiranetalii5FM175378Alexandrine Sens : Ces bâtiments sont dignes d’intérêt et appelés à être autant d’icônes de l’écosystème. Mais davantage que cet aspect iconique, c’est la pratique qu’en ont les usagers qui m’a intéressée. A cet égard, le témoignage du Responsable Immobilier d’EDF Lab [Eric Haupas], qui nous a fait la visite du site, était instructif : il nous a bien fait comprendre comment, suite à des déconvenues initiales, ce site est devenu une sorte de démonstrateur grandeur nature des réglages à opérer pour parvenir à une efficacité énergétique optimale, mais aussi des apprentissages à mettre en place pour une réelle appropriation par les salariés appelés à y travailler [en illustration : à l’intérieur d’EDF Lab].

– Revenons à la question de l’accessibilité. Comment l’appréhendez-vous à l’issue de cette balade périurbaine, qui, convenons-en, n’était pas représentative des pratiques de mobilité ordinaires, puisque nous n’avons fait que cheminer à pied, sans recourir à d’autres modes de déplacement…

Isabel Diaz : Sauf pour venir de La Défense jusqu’à la station d’Orsay-Ville – nous avons emprunté les lignes A et B du RER ! Une fois sur place, nous n’avons effectivement fait que marcher. Est-ce lié à ce mode de déplacement ? Toujours est-il que l’impression qui a dominé, est celle d’un espace ouvert, qui, effectivement, peut parfois donner le sentiment de manquer de lisibilité.

Alexandrine Sens : Dans le même ordre d’idée, je trouve que cela manque de signaux…

– D’une signalétique ?

IconoFloiranetalii5FM175364Alexandrine Sens : Non, je dis bien des signaux, au sens de repères, étant entendu qu’une signalétique bien pensée est aussi un enjeu majeur. Il y a, certes, les bâtiments iconiques que nous évoquions, mais il reste difficile de lire l’environnement dans sa globalité, de s’y repérer. Et puis, en matière de mobilité, j’y reviens, j’ai été étonnée de constater qu’il n’y ait pas de système de vélo-partage. Pourtant, il ne me semble pas que cela représente un investissement coûteux, au regard des sommes qui sont consacrées au projet. Cette solution semble adaptée pour se déplacer, ne serait-ce que sur le périmètre que nous avons parcouru. Je précise que ces « Vélib’ » devraient être électriques, bien sûr, compte tenu des dénivellations…

– Une remarque qui ne peut que conforter l’intérêt de la plateforme en cours d’élaboration que j’évoquais, Move In Saclay. Elle vise justement à faciliter l’accès à un bouquet de mobilité, y compris électrique…

Florian Muzard : Pour poursuivre sur des impressions plus générales, j’ai été surpris par la coexistence de la pierre meulière, de l’environnement végétalisé et de l’architecture moderne. Je n’avais pas conscience que le « ventre » du cluster était aussi riche d’espaces naturels et agricoles. Qui dit cluster, pense a priori à une concentration de fonctions dédiées à l’innovation technologique. Franck Caro parle d’un cluster « annulaire » et cette formule me paraît tout à fait juste. L’erreur serait de s’en tenir à une simple coexistence entre des lieux dédiés à la recherche, l’enseignement et l’innovation, d’une part, et ces espaces naturels et agricoles, d’autre part, sans chercher à cultiver les synergies. Mais, si j’ai bien compris, l’intention est bien d’aller au-delà de la simple protection de ces espaces (au travers de la ZPNAF et des initiatives de Terre et Cité que vous évoquiez). Elle devrait être confortée par l’arrivée d’AgroParisTech. Mais au-delà des collaborations dans le domaine de la recherche et de l’innovation, je pense à l’intérêt qu’il y aurait à développer des systèmes de production en circuits courts, ne serait-ce que pour satisfaire la demande de ces dizaines de milliers de personnes qui viennent déjà travailler quotidiennement sur le plateau. Cela contribuerait sans doute à donner une autre image au territoire de Paris-Saclay, que l’on a vite fait, comme cela a été dit, de réduire à ses ambitions scientifiques et technologiques.

– C’est justement une tendance qu’on observe déjà à travers notamment la création d’Amap ou d’autres initiatives de ce genre. Je rappelle aussi que c’est à Vauhallan, sur le plateau, que Réseau Cocagne a décidé d’implanter son siège, en plus de la création d’un nouveau Jardin de Cocagne….

Alexandrine Sens : Nous abordons-là la face moins visible pour ne pas dire cachée du projet. Dans les discours qu’on entend sur le cluster, on évoque peu ce genre d’initiatives, en dehors de ce que prévoit l’archipel des parcs-campus défini par le paysagiste Michel Desvigne. Dommage que la dimension technologique prime dans la vision qui est proposée de ce territoire…

– Je peux témoigner d’une prise d’une conscience de la nécessité de valoriser les différentes dimensions du Plateau de Saclay. Encore une fois, je renvoie au rôle actif de l’association Terre et Cité…

Isabel Diaz : Cette intégration des différentes composantes du territoire est essentielle pour lever les réticences des habitants comme des usagers. J’ignore ce qui est fait pour convaincre chercheurs, enseignants, entrepreneurs et investisseurs, à venir sur le Plateau de Saclay, au-delà de la seule concentration des moyens de recherche, d’enseignement et d’innovation. Une chose est sûre, son attractivité passe aussi par la valorisation de toutes ces initiatives qui font qu’on y vive bien. Au-delà, l’enjeu est aussi d’en proposer un récit dans lequel tout un chacun peut se retrouver. C’est dire si je ne saurais trop vous encourager à poursuivre le travail que vous faites au travers de votre site web car, il me semble, que c’est justement une mise en récit concrète, à laquelle vous contribuez.

– En réponse à votre interrogation, j’évoquerai de prime abord l’investissement de l’EPA Paris-Saclay dans des projets qui touchent directement au cadre de vie, que ce soit en matière de mobilité, déjà évoquée, mais aussi de l’énergie, à travers le projet de réseau de chaleur et de froid, ou encore de la gestion de l’eau. Cela étant dit, j’entends dans vos remarques une invite à promouvoir l’idée d’un cluster « incluant », en référence à cette notion de « ville incluante », objet d’un livre récent**. Soit une ville dont l’aménagement combinerait des projets portés par des institutionnels, dans une logique top down, à d’autres, émergents du territoire…

Isabel Diaz : Retenons cette formule de « cluster incluant », qu’à mon sens votre site web concourt déjà à incarner en donnant à voir une large diversité d’acteurs et de porteurs d’initiatives, qui concourent à améliorer le cadre de vie.

– Cette dimension incluante n’empêchant pas au final une diversité au plan paysager, tant et si bien qu’on peut se demander si le propre de ce cluster n’est pas aussi de permettre de vivre au cours d’un même déplacement – à pied, en vélo, en voiture ou en transport en commun – une diversité de paysages, avec des espaces plus ou moins denses, d’autres plus ou moins urbains ou, à l’inverse, plus ou moins ruraux ; les uns riches d’un patrimoine historique, les autres de bâtiments récents, d’autres encore combinant les deux… Un cluster en forme d’archipel en somme avec ses quartiers (de Moulon, de Polytechnique), ses « villages » (Gif-sur-Yvette, Châteaufort, Saclay…), ses grands ensembles (du côté des Ulis ou de Trappes), ses campus, ses zones de développement économique (le parc d’activités de Courtabœuf…),…

Alexandrine Sens : Je ne demande qu’à refaire des balades sur le Plateau de Saclay, pour en avoir le cœur net, moyennant un bon guide ! [sur ce, Alexandrine nous quitte, appelée à ses obligations professionnelles].

Florian Muzard : Ce que vous dites du territoire en forme d’archipel me remet en mémoire ce dont Franck Caro nous a parlé, à la lumière de son expérience de la politique de la ville : le lien à renforcer entre le cluster et d’autres réalités sociales, les quartiers de cette politique de la ville, en l’occurrence. Paris-Saclay, ce sont ainsi des zones denses, des zones pavillonnaires, des centres-bourgs,…. Comment ces différentes composantes interagissent, participent à la dynamique du cluster ? C’est ce que j’aimerais savoir car c’est un gage non seulement d’intégration territoriale et d’acceptabilité sociale du cluster, mais aussi de créativité potentielle pour le système d’innovation.

– En attendant, comment avez-vous appréhendé le fonctionnement plus à l’horizontale – le principe du campus a été privilégié sur les constructions en hauteur, pour favoriser davantage les interactions. Soit tout le contraire d’un site comme La Défense, où nous réalisons cet entretien…

IconoFloiranetalii7FM175334Isabel Diaz : Certes, le parti pris de l’horizontalité offre d’indéniables avantages, comparé à celui de la verticalité, qui a présidé à la conception d’un site comme celui de La Défense. Mais qui peut dire quelle serait la hauteur optimale d’un bâtiment ? Une chose est sûre : sur le Plateau de Saclay, ce parti pris de l’horizontalité permet de mettre en valeur la beauté paysagère du site, sa géographie, avec son plateau et ses vallées, où par conséquent la pente est présente et gagnerait d’ailleurs à ne pas être obérée. Une beauté paysagère dont on a pu aussi prendre la mesure depuis les espaces intérieurs des bâtiments visités !
Il reste que si les objets architecturaux ont en eux-mêmes des qualités esthétiques, l’aménagement sur le plateau ne m’a pas paru assez en dialogue avec cet environnement. Est-ce que c’est grave ? Peut-être pas autant que cela dès lors qu’on arrive à faire en sorte que les gens puissent se déplacer facilement, de surcroît avec des moyens innovants. Et puis, j’ai conscience que le projet est encore loin d’être achevé. En témoignent d’ailleurs les nombreuses grues que nous avons pu percevoir. Cela étant dit, j’ai été surprise de voir comment étaient gérés les arrêts de bus provisoires – des arrêts pour le moins rudimentaires. Je m’interroge aussi sur l’intérêt de ces longues artères. Il me semble que ce serait une erreur de faire de ce territoire si particulier, une ville, en cherchant à y reproduire toutes les fonctionnalités. En disant cela, je ne prône certainement pas un retour au zoning. Je pense seulement que les polarités de l’écosystème ne doivent pas chercher à garantir toutes les fonctionnalités qui font qu’une ville est une ville. Cela n’aurait pas de sens [en illustration : une vue depuis le premier étage du Lieu de Vie].

– Paris-Saclay, c’est aussi de nombreux événements, qui drainent un public et qui concourent ainsi à donner corps à une véritable « communauté » d’hommes et de femmes de différents profils – chercheurs, entrepreneurs, étudiants, élus, associatifs, etc. – ayant plaisir à se voir ou revoir, et à échanger autour de l’actualité de Paris-Saclay. J’observe, pour assister à ces différents événements, que les participants prennent le temps de s’y attarder – une manière probablement d’optimiser le temps du déplacement (on ne quitte pas aussi tôt un lieu qu’on a pris autant de temps à atteindre…). Ce qui concourt à des interactions plus denses… Bref, l’événementiel comme moteur dans la dynamique d’un projet urbain : est-ce un constat que vous avez pu faire en d’autres circonstances, sur d’autres territoires ?

Florian Muzard : Des événements offrent l’intérêt de permettre à tout un chacun de sortir de son bureau ou de son laboratoire, et de partager une expérience avec d’autres personnes du même territoire, mais venant d’autres horizons professionnels, disciplinaires et géographiques. Étant entendu que la capacité à faire communauté n’est pas l’apanage des seuls événements professionnels ou scientifiques. Comptent tout autant des événements d’ordre plus artistique ou culturel, aussi simples qu’une séance de dédicace dans une librairie, par exemple. On ne compte plus les travaux de recherche qui montrent le rôle de la programmation événementielle et des lieux de vie dans l’attractivité d’un territoire. D’autant qu’ils peuvent concourir à cette mise en récit du territoire, qu’Isabel évoquait. Dès lors, on peut se demander si tout cela ne risque pas d’être réinterrogé avec l’arrivée de la ligne 18 du Grand Paris-Saclay…

– Expliquez-vous…

Florian Muzard : En permettant de rallier plus rapidement le Plateau de Saclay, on peut se demander si cette ligne de transport ne remettra pas en cause l’inclination de ceux qui fréquentent le territoire à y passer du temps, comme vous l’évoquiez. En disant cela, je ne prétends pas contester l’intérêt d’une telle ligne, je souligne juste combien Paris-Saclay me semble avoir tout intérêt à attirer et fidéliser des publics et pour cela, autant que possible, à « faire lieu ».

Isabel Diaz : A propos d’événements, je ne peux m’empêcher de songer à TEDx Saclay dont nous avons découvert l’existence [à l’occasion de la rencontre fortuite avec Christian Van Gysel]. Il rappelle s’il en était besoin que Paris-Saclay est un lieu d’innovation technologique, mais aussi de créativité scientifique. Je dis bien « créativité » car la science est aussi un domaine propice à cela, au même titre que les activités artistiques ou culturelles. En plus d’en témoigner, TEDx Saclay est l’événement par excellence pour forger une communauté, tout en faisant connaître le cluster au-delà de son périmètre.

– D’autant qu’il joue la carte de l’itinérance pour faire connaître différents hauts lieux de l’écosystème (l’édition 2018 s’est déroulée au Théâtre de Saint-Quentin, la précédente, à CentraleSupélec). Venons-en à l’Atelier des Territoires et notamment à la session consacrée au périurbain [2017-18]. Dans quelle mesure ce que vous avez découvert de Paris-Saclay entre-t-il en résonance avec des enseignements de cette session ?

IconoFlorianetalii2FM175388Florian Muzard : Paris-Saclay est de toute évidence un territoire périurbain, dans la mesure où il est lié au fonctionnement de Paris avec toutefois cette particularité de constituer un pôle d’emplois pour les Parisiens eux-mêmes. Il apporte ainsi la démonstration qu’on peut rééquilibrer le fonctionnement d’une aire urbaine en relocalisant de l’emploi en périphérie.
Pour en revenir à l’Atelier, celui-ci cible en principe des territoires en manque d’ingénierie. Ce qui n’est pas le cas de Paris-Saclay, loin de là ! Mais la méthodologie de l’Atelier est suffisamment agile pour s’appliquer à d’autres territoires, très différents. D’ailleurs, la session consacrée à l’eau, que pilote Alexandrine, l’illustre bien : la métropole Aix-Marseille Provence y participe. Un atelier à Paris-Saclay pourrait d’ailleurs fort bien se prêter à approfondir les interrogations dont nous avons fait état concernant le cluster et son inscription territoriale, la valorisation des espaces naturels et agricoles ou encore l’intégration des quartiers de la politique de la ville. Dans quelle mesure les habitants de Paris-Saclay, pris dans ses différentes composantes territoriales, se sentent-ils parties prenantes du projet ? Voilà une question qu’un tel atelier pourrait aussi aborder. J’ajoute encore que parmi les outils utilisés dans le cadre de nos ateliers, l’un n’est pas sans évoquer la « balade périurbaine » que vous nous avez fait faire (au cours d’un atelier, les élus prennent en principe le temps d’arpenter ensemble le site pour partager leurs idées et impressions d’une manière aussi informelle que possible). La participation d’une équipe de conception conduite par un urbaniste ou un paysagiste (une autre caractéristique de l’Atelier) permettrait d’identifier les bases communes d’un projet de territoire partagé. En bref, rien n’empêcherait de procéder à une greffe de l’Atelier des Territoires sur le Plateau de Saclay. Mais je parle naturellement sous le contrôle des acteurs locaux qui devraient se porter volontaires et d’Isabel Diaz qui pilote le programme de travail de l’Atelier des territoires… [en illustration, le Radar, la « balade périurbaine » approche de sa fin].

Isabel Diaz : Pourquoi pas, en effet. Le projet de Paris-Saclay étant déjà bien engagé, une telle greffe permettrait d’imaginer des améliorations possibles.

* Pour en savoir plus sur…

… le Bureau des stratégies territoriales, cliquer ici.

… l’Atelier des Territoires, cliquer ici.

** Aménager sans exclure, faire la ville incluante, Jean Badaroux, Jean Frébault, François Ménard, Gwenaëlle d’Aboville (dir.), Le Moniteur, 2018.

Crédit photo : Vivien Chazelle et Alexandrine Sens pour la première photo, ci-dessus ; Florian Muzard, pour toutes les autres.

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Sylvain Allemand
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