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Un bonjour de Singapour.

Le 9 mai 2017

Le 22 février 2017, des acteurs de innovation (industriels, start-up, PME) étaient réunis à l’initiative de l’EPA Paris-Saclay pour faire un point sur les enjeux de l’attractivité de l’écosystème. Parmi eux : Arnaud Peltier, cofondateur de WiN MS, qui a saisi l’occasion de formuler plusieurs recommandations en attendant l’arrivée de la ligne 18 du Grand Paris Express. Il a bien voulu y revenir dans l’entretien qu’il nous a accordé peu avant un séjour à Singapour. Et avec sa franchise coutumière…

– Si vous deviez au préalable pitcher WiN MS ?

WiN MS (pour Wire Network Monitoring Solutions) est une spin-off du CEA List, créée il y a cinq ans, en 2012 : elle développe et commercialise des outils de diagnostic immédiat pour la maintenance de systèmes de câblage et de la connectique, principalement dans le domaine aéronautique. Car il faut savoir qu’un avion, aujourd’hui, concentre jusqu’à 500 km de câbles. Ce qui rend la localisation d’une panne d’autant plus difficile. Nos outillages aident justement aux compagnies aériennes à réduire le temps de recherche. Concrètement, nous proposons une valise permettant à leurs services de maintenance de réaliser un diagnostic des câblages sans démontage. Ainsi, nous réduisons les temps d’immobilisation des équipements et évitons le remplacement inutile de composants. Nos partenaires sont aussi bien des constructeurs (Airbus, Airbus Helicopters, Dassault,…) que des équipementiers (Safran, par exemple, avec qui nous avons un partenariat fort).
Mais WiN MS propose également un dispositif de surveillance des infrastructures câblées pour lutter contre le vol de câbles. Pour mémoire, ceux-ci peuvent coûter jusqu’à 30 millions d’euros par an à la SNCF et au Réseau Ferré de France (RFF). Concrètement, nous avons mis au point des capteurs qui localisent une coupure en temps réel et détectent des vols ou des tentatives de vols. Installée depuis 2014, en France, cette solution a déjà démontré son effet dissuasif, les vols ayant cessé dans les zones où elle a été déployée.

– Où en êtes-vous dans votre développement ?

Notre offre a été déployée à l’échelle mondiale. Pour l’heure, nos clients se situent principalement en Europe (Lufthansa, Swissair), au Moyen-Orient (Qatary Airways) et en Asie (Singapour Airlines). Après avoir ouvert un bureau à Singapour, nous en avons ouvert un autre à Atlanta pour servir un premier client nord-américain (Delta Airlines). Cette ouverture sur les Etats-Unis a, je le précise au passage, été rendue possible par les contacts établis avec le French Tech Hub, suite à notre participation à des missions menées avec le CEA LIST chez PRIME, le bureau de Paris Region Entreprises aux Etats-Unis.

– Comptez-vous investir d’autres secteurs que l’aéronautique et le ferroviaire ?

Oui. Nous souhaiterions investir celui de l’énergie et nous sommes déjà rapprochés pour cela d’acteurs comme Enedis ou Total.

– Combien d’emplois avez-vous créés à ce jour ?

WiN MS compte actuellement 14 collaborateurs, dont 9 au siège, installé au sein du 503.

– En quoi l’écosystème de Paris-Saclay a-t-il favorisé votre développement et diversification ? En aviez-vous l’expérience avant la création de votre spin-off ?

Comme j’aime à dire, je suis un pur produit de Paris-Saclay. J’y suis, arrivé en 1998 pour mes études dans ce qui s’appelait encore Sup Optique [Institut d’Optique Graduate School, désormais]. J’y habite même depuis cette année-là. J’ai rencontré mon associé, chercheur au CEA List, sur les bancs d’HEC Challenge +, en 2011. Nous sommes partis à l’aventure en bénéficiant d’un certain nombre de dispositifs de l’écosystème : IncubAlliance, le Pôle de compétitivité Systematic, Scientipôle, Réseau Entreprendre, etc.
Je tiens aussi à souligner le rôle de Paris Region Entreprises et le soutien de la Région Île-de-France, qui, en nous faisant bénéficier d’une AIMA (Aide à la maturation de projets innovants), nous a permis de déposer un brevet et de faire réaliser une étude de marché par un cabinet externe. En 2015, nous avons de nouveau obtenu une AIMA, qui nous a permis, cette fois, de décliner notre solution sur de nouvelles applications. Bien plus, Paris Region Entreprises nous a ouvert les portes de son réseau. C’est ainsi que WiN MS a pu être candidate puis lauréate à l’appel à projet PM’up.

– Comment expliquez-vous votre ancrage durable dans l’écosystème Paris-Saclay ?

Nous avons souhaité garder une proximité avec le laboratoire dont notre technologie est issue pour continuer à la faire progresser et conserver notre avance. Les interactions avec les équipes du CEA List sont régulières : nous les voyons au moins une fois par semaine. Nous sommes convaincus par l’intérêt de la dynamique enclenchée sur le Plateau de Saclay.

– Et le 503, quelle importance a revêtu ce lieu ?

Pour une spin-off comme la nôtre, qui produit de la techno, un lieu comme le 503 est une belle opportunité : il nous offre de la surface et de la souplesse dans sa gestion. On y côtoie aussi bien des étudiants de la FIE que des startuppers, avec une dominante en optique et photonique, et des acteurs de l’accompagnement – iNNOECO, Scientipole Capital ou encore le Réseau Entreprendre, qui y a ouvert un bureau couvrant la zone sud de l’Ile de France. Bref, un vrai écosystème en miniature. Mais sans doute pourrait-il s’ouvrir encore davantage en s’associant à d’autres partenaires. Avec ses 10 000 m2, le 503 dispose d’un potentiel qui est encore loin d’avoir été épuisé. Il serait dommage que cela reste une simple annexe de l’IOGS. Il faut accepter qu’il prenne plus d’ampleur et soit approprié par d’autres acteurs. C’est en tout cas le message que je souhaite faire passer, puisque vous m’interrogez sur ce lieu.

– Si maintenant vous avez des attentes à formuler par rapport à l’écosystème de Paris-Saclay, dans son ensemble ?

C’est celles que j’ai formulées au cours de la réunion des responsables d’innovation, organisée à l’initiative de l’EPA Paris-Saclay : si on veut accueillir des entreprises en croissance, il faut leur permettre de passer le stade de l’incubateur et de l’accélérateur en leur permettant de disposer des surfaces dont elles ont besoin et avec le plus de flexibilité possible. A ses débuts, une entreprise innovante recherche des surfaces (des bureaux, des laboratoires) aussi modulables que possible et à un prix compétitif. On a vu émerger des structures d’incubation et d’accélération. C’est très bien et indispensable. Mais, maintenant, il faut aller plus loin, penser à l’étape d’après, quand la start-up ou la spin-off prend son envol, commence à recruter et a donc besoin de plus de m2. Sans compter les besoins de tous ces groupes et PME, qui veulent rejoindre l’écosystème Si on n’y prend garde, celui-ci risque d’arriver à saturation.

– Quid des questions d’accessibilité et de transport ? Comment expliquez-vous que vous soyez vous-mêmes parvenus à vous développer dans un lieu relativement peu accessible, du moins par les transports en commun ?

Nous touchons-là à un autre enjeu. La ligne 18 du Grand Paris-Express arrivera bien, mais seulement à l’horizon de 2024. Certes, un bus en site propre a déjà été aménagé sur le Plateau de Saclay. Mais ce n’est pas encore à la hauteur des besoins. Il faut absolument décupler l’offre de transports, élargir les plages horaires et accroître la fréquence. Nos équipes pâtissent de l’irrégularité des bus qui peuvent aussi bien arriver en retard que partir en avance !
Nul doute qu’à horizon 2024 (et l’arrivée du métro automatique), on aura atteint un niveau de développement, qui assurera cette attractivité. Mais en attendant, que fait-on ? Comment susciter une attractivité immédiate ? C’est à mon sens la première question qu’il faut se poser.

– Que proposez-vous justement ?

Outre l’amélioration des transports, j’insisterai sur deux autres points. D’une part, l’ouverture des acteurs de l’innovation, déjà présents ou à venir : il faut vraiment qu’ils ouvrent davantage leurs portes pour favoriser les interactions, mais aussi qu’ils aident, pour les plus grands d’entre eux, les jeunes entreprises en mettant à leur disposition les espaces dont ils disposeraient. D’autre part, il importe de développer les lieux de vie : on vient, certes, ici pour travailler ou étudier, mais on a besoin aussi de pouvoir s’y détendre, rencontrer nos interlocuteurs dans un cadre moins formel. Pour l’heure, le Plateau de Saclay manque cruellement de restaurants, de bars ou d’autres lieux de convivialité. Il faut absolument renforcer l’offre en la matière. On parle beaucoup des bâtiments conçus pour des établissements d’enseignement supérieur et de recherche, ou de logements. C’est très bien, mais je crains qu’on n’ait pas dimensionné en conséquence l’offre de ces lieux de vie, qui font que les gens auront plaisir à s’attarder ici, avant de regagner leur domicile. Rien n’empêche pourtant de renforcer cette offre et ce, dès maintenant, car il y a une réelle attente. Nombre de nouveaux actifs prévus par le projet de Paris-Saclay sont déjà là.
Pour voyager beaucoup à travers le monde, je peux vous dire que les choses évoluent très vite, que nous serons challengés par bien d’autres écosystèmes que ceux des Etats-Unis ou de l’Europe. Il faut avoir conscience que la concurrence est désormais mondiale, y compris à l’échelle des individus. Les chercheurs et enseignants qu’on souhaite attirer ont désormais le choix entre bien d’autres campus, y compris dans des pays émergents. Et ils ne se privent pas de choisir selon leur intérêt. Si nous avons l’ambition que Paris-Saclay soit l’un des pôles d’innovation les plus attractifs dans le monde, nous ne devons pas avoir peur de nous comparer aux autres.

– Etes-vous vous-même tenté de partir à l’étranger ?

Comme je pense l’avoir montré, je suis très attaché à cet écosystème de Paris-Saclay. Et loin de moi de vouloir faire le moindre chantage ! Cependant, pour être présent dans plusieurs écosystèmes, dont celui de Singapour, je mesure leur attractivité, et, a contrario, ce qui manque encore à Paris-Saclay. A Singapour, pour m’en tenir à cet exemple, la gouvernance est différente : le temps entre décision et réalisation est plus court. Rien à voir avec la lourdeur des démarches et réglementations auxquelles on se heurte encore en France. A quoi on me répond qu’il en a toujours été ainsi, que chaque contexte a ses avantages et ses inconvénients. Mais il faut savoir ce que l’on veut : placer l’écosystème Paris-Saclay parmi les meilleurs ou pas !

– Que pensez-vous de cette réunion du 22 février à laquelle vous avez participé ? Quelle a été votre réaction quand on vous a sollicité pour y prendre part ?

Positive, car cela témoignait de ce souci d’ouverture que j’évoquais tout à l’heure, en faisant se rencontrer des représentants de nombreux acteurs de l’innovation. J’ai été agréablement surpris par le nombre de participants ayant fait le déplacement, une quarantaine, dont beaucoup de directeurs de l’innovation de grands groupes. Ce qui n’est pas rien quand on connaît les contraintes qui pèsent sur leur agenda. Un signe, au passage, de l’attractivité de Paris-Saclay, de la curiosité grandissante qu’il suscite. Comme je l’espère, cette réunion marque le début d’une nouvelle dynamique. Elle a été l’occasion d’un premier diagnostic. Maintenant, il faut passer à l’action sans pour autant tout attendre de l’EPA Paris-Saclay. Je pense que Paris-Saclay engage la responsabilité de chacune de ses parties prenantes.

– Un mot sur la visite impromptue du Ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, Thierry Mandon, qui a tenu, suite à une inauguration, à faire un crochet avant de regagner Paris…

C’est encore un bon signal sur l’importance et l’attention que suscite ce projet. Dommage que cela ait bousculé l’ordre du jour au point de remettre en cause les ateliers qui étaient prévus ! Mais, comme je l’espère, ce n’est que partie remise. Les encouragements d’un ministre sont les bienvenus. Ne nous reposons pas cependant sur nos lauriers. Nous avons la chance de participer à un grand projet. Raison de plus pour agir en abordant tous les sujets, y compris les plus concrets. Il n’est plus temps de faire des plans sur la comète.
Pour autant, n’oublions pas les atouts de l’écosystème ! Depuis que je suis sur ce territoire, je perçois une accélération dans la dynamique d’innovation. Je tiens à le dire car, l’impatience aidant, à force de ne mettre en exergue que ce qui ne va pas, on tend à l’oublier !

La photo illustrant l’article nous a été transmise par Arnaud Peltier avec le commentaire suivant : « Voici ce que je vois de ma place à l’instant ; je suis dans notre bureau de Singapour à JTC Launchpad et il y a au centre des bâtiments dédiés à l’innovation ainsi qu’un food court ouvert à tous. »

 Pour poursuivre l’échange avec Arnaud Peltier : @arnpeltier

Sylvain Allemand
Sylvain Allemand

Journaliste

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