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Entrepreneuriat innovant

Quand Paris-Saclay rime aussi avec économie sociale et solidaire (2).

Le 11 septembre 2015

Suite de notre rencontre avec Caroline Cailleau à travers l’entretien qu’elle nous a accordé sur le PôleS NOE dont elle a pris la direction en février 2014 et les initiatives mises en œuvre pour valoriser l’économie sociale et solidaire sur le territoire du Nord-Ouest Essonne.

Pour accéder à la première partie de la rencontre avec Caroline Cailleau, cliquer ici.

– Connaissiez-vous le territoire de Paris-Saclay avant de prendre la direction du PôleS NOE ?

Oui. Mes premiers pas en Région Parisienne, je les ai faits à Bures-sur-Yvette. J’avais 14 ans. Auparavant, j’avais vécu à Nantes, à Lyon et à Aix-en-Provence. De la seconde à la terminale, j’ai été au lycée public Blaise Pascal, à Orsay.

– Si vous deviez décrire le lieu où nous sommes ?

Vous êtes ici dans les locaux de l’association du PôleS NOE, au rez-de-chaussée d’un logement social mis à disposition de l’OGIF [ société de gestion d’habitations à loyer modéré ]. Précisons encore que nous sommes aux Ulis, dans le quartier de Courdimanche, à mi-chemin du centre-ville et du parc d’activités de Courtaboeuf. La structure occupait auparavant les locaux d’une entreprise d’insertion, Val d’Yvette Multiservice, située au sein même du parc d’activités. Elle a malheureusement fermé au mois de juin dernier.
Le hasard du calendrier nous a permis de nous installer dans les locaux actuels, qui étaient occupés par une ancienne crèche de l’association de la Croix-Rouge, dont on peut encore voir des traces dans le papier peint. Les locaux ont été transformés pour accueillir des bureaux et des adultes.

– Et le PôleS NOE, comment a-t-il vu le jour ?

Le PôleS NOE a pris la suite d’une association créée en 2010, Resea 2P, qui avait mené une étude sur l’opportunité de développer une conciergerie d’entreprises dans le parc d’activités de Courtabœuf. Les services devaient être assurés pour moitié par des acteurs de l’économie sociale et solidaire du territoire. Le projet devait ainsi initier une première coopération entre eux et des entreprises du secteur privé.
La conciergerie a bien vu le jour sous la forme d’une société coopérative d’intérêt collectif (SCIC), appelée Adispo. Malheureusement, elle n’a tenu que six mois. Pourtant, le besoin est toujours aussi manifeste. Je reçois des appels d’entreprises, petites ou grandes, qui, connaissant l’historique de Resea 2P, me demandent encore quand une autre conciergerie verra le jour ! Manifestement, les deux Communautés d’agglomération de l’Essonne, la CAPS et Europ’Essonne, en charge du dossier, n’y ont pas renoncé. L’an dernier, elles ont mis en place un groupe de travail sur le sujet.
Parallèlement à ce projet de conciergerie, Resea 2P avait répondu à un appel à projets de la Région Ile-de-France, sur les Pôles territoriaux de coopération économique (PTCE) en vue, comme leur nom l’indique, de favoriser la coopération entre divers acteurs – privés, publics, associatifs – pour qu’ils mènent ensemble des projets contribuant au développement local et durable de leur territoire.

– Ce faisant, vous contribuez à faire de l’ESS non pas tant une alternative, qu’une économie complémentaire…

Personnellement, je suis convaincue que l’ESS fait partie intégrante de l’économie, y compris marchande. Elle représente d’ailleurs de l’ordre de 10% des emplois et pratiquement autant du PIB. Reste que cette ESS est encore méconnue. La vocation du PôleS NOE est précisément de mieux informer sur son existence et son potentiel en assumant le rôle de référent auprès des acteurs du territoire. C’est d’ailleurs ce qui m’a incité à le rejoindre. Moi-même, j’ai été formée à l’entrepreneuriat social avant de connaître les grands principes de l’ESS.

– Qui sont vos membres ?

Les membres du PôleS NOE ne sont autres que des entreprises et associations du territoire, qui recrutent localement, dans une double logique d’ancrage territorial et de circuit-court. Tous ne relèvent pas à proprement parler de l’ESS. On y trouve aussi des entrepreneurs classiques dont, parmi, eux, d’anciens salariés qui ont monté leur société, dans une logique d’entrepreneuriat social, sans avoir connu préalablement l’ESS. Naturellement, nous n’exigeons pas qu’ils modifient leur statut juridique, mais qu’ils s’engagent à défendre des valeurs communes, en adhérant à une charte. Les projets auxquels ils participent doivent profiter équitablement à tous les autres partenaires.
Ces entreprises partenaires sont en règle générale de petite taille et relèvent souvent de l’auto-entrepreneuriat. Cela me semble de toute façon préférable à des entreprises dont le siège est localisé à l’extérieur du territoire, et dont on aurait peu d’information sur les activités. Le PôleS NOE se veut garant de l’esprit de solidarité entre les entreprises du territoire.

– Quid des entreprises technologiques implantées sur le parc d’activités et le reste de l’OIN Paris-Saclay ?

Nous avons l’intention d’aller à leur rencontre avec la conviction que l’innovation technologique peut appuyer l’innovation sociale. Le rapprochement passera par la plateforme que nous développons actuellement. Intitulée « Autonome à domicile », elle vise à offrir à la population du Nord-Ouest Essonne un bouquet de services à la personne, les uns classiques, les autres plus innovants autour du maintien à domicile à travers l’aménagement de l’habitat, mais aussi une offre de services marchands et non marchands pour le bien-être et la lutte contre l’isolement, par exemple. Même si la population est jeune, nous avons ici une population vieillissante. Pour faire face aux problématiques de la perte d’autonomie, de l’hébergement dans les structures adaptées et de coût, il importe d’apprendre à travailler ensemble, à faire coopérer des entreprises privées de services à la personne avec des associations qui apportent un soutien aux aidants. Nous développons donc cette plateforme web et téléphonique qui permettra aux proches aidants familiaux et/ou aux personnes âgées elles-mêmes de trouver un interlocuteur de confiance pour répondre à leurs besoins, qu’il s’agisse de l’installation de volets roulants, de se faire couper les cheveux ou de suivre une formation à la micro-informatique.
L’innovation technologique prend son sens dès lors que le numérique fait son entrée dans l’habitat et la vie quotidienne. Mais gare au risque de creuser les inégalités entre ceux qui y ont accès et sont en mesure de se l’approprier, et les autres. Une des pistes à explorer serait de s’associer à un fournisseur, à même de proposer des tablettes numériques ergonomiques et bon marché, aux personnes en perte d’autonomie.

– Est-ce aussi simple de faire coopérer des associations et entreprises de l’ESS avec des entreprises classiques ?

Non, autant le reconnaître, car force est de constater qu’on peut encore se heurter à des formes de corporatisme quand ce n’est pas à des présupposés idéologiques. Si on arrive à faire travailler ensemble des entrepreneurs dans le domaine de l’aménagement de l’habitat, en revanche, des difficultés subsistent à faire travailler les structures d’aides à la personne selon qu’il s’agit d’une entreprise ou d’une association

– Des difficultés qui tiennent au territoire ?

Non, ce sont des difficultés qu’on rencontre dans l’ensemble du champ des services d’aides à la personne. Entreprises et associations n’ont pas les mêmes réglementations en interne, ce qui, a priori, rend plus difficile les possibilités de coopération.

– Pour en revenir à l’ouverture du PôleS NOE à l’innovation technologique, en quoi est-elle liée au contexte de Paris-Saclay ?

A l’évidence, le contexte de Paris-Saclay nous y incite. Il offre à cet égard des opportunités, à commencer par celle de pouvoir nous appuyer sur l’écosystème de l’innovation avec ses incubateurs, ses FabLab, son Pôle Entrepreneuriat Innovation (PEIPS), etc.

– S’agit-il, en sens inverse, d’ouvrir l’innovation technologique à l’ESS, de démontrer que l’innovation sur le Plateau de Saclay peut-être aussi sociale ?

Tout à fait. Depuis deux ans, nous participons d’ailleurs au Forum de l’innovation sociale organisé chaque mois de février par la Chaire social business et la Délégation à l’Egalité des chances d’HEC Paris avec l’ESP’R [ une association d’étudiants qui promeut l’économie sociale et solidaire sur ce campus ]. Notre souhait est de développer les coopérations et d’inciter des étudiants à mener leur projet sur le territoire du Nord-Ouest Essonne. Concentrer plusieurs établissements d’enseignement supérieur et de recherche, plus prestigieux les uns que les autres, c’est très bien, mais si c’est pour cultiver l’entre-soi et imaginer un projet d’entreprise qu’on développera sur un tout autre territoire, on peut douter de l’intérêt ! Modestement, nous nous employons donc à convaincre les étudiants que, non seulement, ils peuvent concrétiser un projet entrepreneurial sur le Plateau de Saclay, mais encore le développer et y créer des emplois. Pour l’heure, beaucoup sont encore attirés par Paris.

– Que faites-vous pour les convaincre ?

Nous allons à leur rencontre ! C’est le sens de notre participation au Forum sur l’innovation sociale que j’évoquais à l’instant. Dans le cadre du mois de l’ESS de novembre 2015, nous envisageons d’organiser une manifestation sur l’entrepreneuriat en milieu coopératif. Elle pourrait se tenir au PROTO204.

– Et le PEIPS, dans quelle mesure peut-il être un partenaire ?

Le PEIPS a participé au salon de l’ESS que nous avons organisé en novembre dernier, à Massy. A terme, nous pourrions, pourquoi pas, en être le volet ESS. Ce dont nous avons commencé à discuter.

– De quels effectifs disposez-vous ?

Je suis actuellement la seule salariée de l’association. Mais, chaque année, je fais appel à trois étudiants stagiaires. L’un pour l’organisation du salon ESS initiatives ; un autre pour la mise à jour du catalogue des structures de l’ESS présentes sur le territoire, également chargé d’enrichir la Carte ouverte de Terre et Cité. Enfin, depuis avril, nous accueillons une jeune en service civique, avec pour mission, de travailler avec les quatre ludothèques du territoire – implantées à Villebon-sur-Yvette, Massy, Palaiseau et aux Ulis. L’idée est d’en exploiter les jeux chez des personnes isolées, identifiées par des membres de l’association « Autonome à domicile ». Au-delà, il s’agit d’engager nos adhérents dans une démarche collective au service du lien social sur le territoire.

– Vos interlocuteurs sont d’une grande diversité, entre les acteurs de l’ESS, les entreprises classiques, les collectivités locales, les pouvoirs publics… Comment parvenez-vous à les faire travailler ensemble ?

Faire travailler ensemble des personnes que tout semble opposer, a toujours été pour moi source de motivation. Je ne pense pas qu’il y ait le mal d’un côté, le bien de l’autre. La réalité est moins manichéenne. La coopération, c’est ce qu’il y a de plus important. Cette valeur est d’ailleurs au centre de l’ESS. Elle est aussi au cœur de l’entrepreneuriat social, à ceci près que subsiste parfois une ambiguïté quant à la place de l’actionnariat. L’entreprise sociale n’a de sens que si elle se préoccupe de l’appropriation des moyens de production, qu’elle repose sur un projet collectif, qu’elle est attentive au bien-être au travail de ses propres salariés. Certes, une organisation a besoin d’une hiérarchie et d’une direction qui arrête des décisions. Mais l’entrepreneuriat social se doit d’impliquer les salariés aussi loin que possible dans le projet de l’entreprise. C’est pourquoi je défends le modèle coopératif qui ménage cette possibilité pour le salarié de prendre part aux décisions (en devenant sociétaire). J’ajoute que je n’ai bien évidemment rien contre la recherche de rentabilité ou de productivité ! La question est juste de savoir où on place le curseur. En sens inverse, la notion de capital n’est pas absente de l’univers de l’ESS. C’est d’ailleurs pourquoi elle n’est pas, à mon sens, une alternative à l’économie capitaliste, mais qu’elle y participe à sa façon, en entretenant des liens étroits avec des entreprises du secteur marchand. Elle s’en différencie par ce souci d’une juste redistribution de la richesse produite et d’une implication des personnes dans le projet de l’entreprise.

– Mais, ce faisant, n’amenez-vous pas, en sens inverse, les acteurs de l’ESS à adopter davantage une démarche d’entrepreneuriat social ?

La notion d’entrepreneuriat social, qui s’est imposée plus récemment que celle d’ESS, pour désigner des activités à but lucratif mais d’intérêt général, met plus l’accent sur les motivations de l’entrepreneur que sur le statut juridique. Cependant, l’heure est à la convergence entre ces deux univers. Le législateur y contribue d’ailleurs. Suite à la loi de juillet 2014, le décret relatif à l’agrément entreprise solidaire d’utilité sociale est paru. Il fixe les conditions dans lesquelles les entrepreneurs sociaux peuvent en bénéficier.

– Vous retrouvez-vous dans les propos de Jean-Guy Henckel, directeur du Réseau Cocagne, qui considère que le temps est venu d’une « alliance inédite » entre entreprises, associations et pouvoirs publics pour faire face aux défis du développement durable ?

Je m’y retrouve pleinement. Les ONG, que je connais bien pour y avoir travaillé, ont l’habitude de faire appel aussi bien aux fonds privés que publics, au salariat qu’au bénévolat. De même, lors de mon précédent emploi, à l’École polytechnique, je faisais face à une diversité d’interlocuteurs : des chercheurs, des étudiants, de grandes entreprises comme Suez, Veolia, EDF, etc. Faire coopérer de grandes écoles avec des universités, ce n’est pas toujours évident. Mais j’ai eu la chance de travailler avec des personnes, qui ont su dépasser leur corporatisme, percevoir le potentiel d’une coopération européenne et ce, dans l’intérêt des étudiants, en impliquant aussi bien des élèves ingénieurs de Polytechnique que des étudiants de l’université. Autrement dit, des jeunes qui n’ont pas autant l’occasion de se rencontrer. Pourtant, en ayant la possibilité de confronter leurs idées, force leur est de constater qu’ils partagent en réalité une culture scientifique commune. Si différence il y a, elle réside davantage dans les manières d’apprendre.

– Quels autres projets avez-vous en perspective ?

Nous en avons plusieurs mais un en particulier nous tient particulièrement à cœur : il s’agit d’une pépinière d’innovation sociale, qui permettrait de faire travailler sur un même lieu des associations et des entreprises. Elle pourrait d’ailleurs héberger une coopérative d’activité et d’emploi (CAE), ce qui permettrait de mutualiser des postes (d’assistants administratifs, de webmasters, etc.) à travers des groupements d’employeurs. Cette pépinière complèterait le dispositif d’incubation porté par l’Agence Economie en Essonne (à Evry) et qui héberge d’ailleurs des porteurs de projets déjà membres du PôleS NOE : je pense en particulier à la recyclerie sportive de Marc Bultez, à Massy ; à un futur ESAT (établissement ou service d’aide par le travail) sur les enjeux de numérisation et d’archivage pour les entreprises, porté par un entrepreneur de Verrières-le-Buisson.
A la différence des pépinières classiques qui hébergent des entreprises parfois tournées vers l’international, celle-ci viserait donc d’abord à favoriser des projets de coopération autour de services de proximité, utiles au territoire. Naturellement, un tel projet ne pourra pas voir le jour sans le concours des élus. Compte tenu des moyens limités d’associations et d’entreprises, il me semble important qu’ils se saisissent aussi de ce genre de projet.

– Et les activités agricoles ou maraîchères du territoire, ont-elles une place dans cette démarche de valorisation de l’ESS ?

Oui, bien sûr. La conciergerie que j’évoquais tout à l’heure prévoyait de servir de dépôt pour les paniers de légumes. A défaut de le faire par le truchement du PôleS NOE, je compte m’investir dans les problématiques de l’agriculture urbaine. Je viens d’ailleurs de prendre la présidence du collectif Massy Durable, qui fédère les associations massicoises qui interviennent sur cette thématique, pour rendre la ville plus solidaire, résiliente et nourricière.

Légende photo : Caroline Cailleau, entourée de Charlotte Machut (volontaire de service civique) et Philippe Degenne (chargé de mission stagiaire de la plateforme  » Autonome à domicile »).

Sylvain Allemand
Sylvain Allemand

Journaliste

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