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Science & Culture

Quand les artistes investissent l’entreprise. L’exemple d’UMS

Le 2 mai 2016

Une entreprise peut être un lieu propice à la découverte de… l’art. Illustration à travers l’exemple d’UMS, une société de haute technologie installée dans le parc d’activités de Courtaboeuf, qui accueille des œuvres d’artistes par le truchement de Facility’Art, une entité spécialisée dans l’art en entreprise.

UMS (trois lettres pour United Monolithic Semiconductors) compte parmi les pépites du parc d’activités de Courtabœuf où elle s’est installée en 2012. Créée il y a bien plus longtemps (en 1996), dans le cadre d’un joint-venture entre Thalès et Airbus Defense and Space, cette société franco-allemande conçoit des composants électroniques spécialisés, entrant dans la composition de systèmes de communication ou de radars. Le visiteur qui pénètre dans ses locaux encore flambant neufs ne doit donc pas s’étonner d’y voir des équipements de très haute technologie, salles blanches comprises. En revanche, il pourra être surpris de pouvoir y contempler aussi des… œuvres d’art, tableaux et sculptures, en déambulant dans les couloirs, l’atrium voire les patios intérieurs de l’entreprise. UMS s’est fait aussi une solide réputation d’entreprise « où on expose les créations d’artistes », comme l’explique Thierry Laboureau, directeur de la filiale française, non sans une certaine fierté. Pour cela, il sollicite, moyennant quelques centaines d’euros par mois, les prestations de Facility’Art, une entité de Vinci Facilities, animée par Erika Nanan, qui travaille en partenariat avec l’association Coach’Art, créée par Catherine Moreau. Deux femmes, qui disent s’être retrouvées autour d’une commune passion pour l’art. Mais aussi une conviction : la contribution de ce dernier au bien-être du travail.

Une alternative en temps de crise

D’eux-mêmes, les artistes ne seraient pas venus à exposer dans une entreprise, a fortiori si éloignée de leur univers (du moins au premier contact). C’est le contexte économique, affectant les galeries, qui, comme l’explique avec franchise Catherine Moreau, les incite de plus en plus à sauter le pas. De leur côté,  les entreprises sont encouragées non seulement à acquérir des œuvres (leur montant est intégralement défiscalisable sur cinq ans), mais aussi à en accueillir en leur sein, le temps d’une exposition. Le coût de celle-ci est lui-même pour partie défiscalisable, à condition de transiter par des associations à but non lucratif, agrées d’intérêt général (ce qui est le cas de Coach’art). Les artistes professionnels, affiliés à la Maison des Artistes, cotés et ayant donc déjà exposé, ont toute leur chance, a fortiori s’ils sont connus à l’international. Ils n’en sont pas moins soumis à une sélection stricte : c’est que, comme le suggère Erika Nanan et Catherine Moreau, on n’expose pas dans une entreprise comme on expose dans une galerie ! Il ne s’agirait pas de heurter les salariés encore peu familiers à l’art contemporain. Une exigence qui n’empêche pas Facility’Art de sélectionner de jeunes artistes ou de « pousser le bouchon un peu plus loin » comme dit Erika Nanan, histoire d’acculturer ces salariés à d’autres conceptions artistiques.

Un choix éclectique

Chaque année, ce sont pas moins de trois expositions qu’UMS accueille dans ses murs. Dans un souci de faire varier les plaisirs, les artistes changent en principe d’une exposition à l’autre. Il peut arriver cependant que l’un soit réinvité, à la demande des salariés.

Pour les besoins de l’exposition, que nous découvrons ce 12 avril, en compagnie de représentants d’entreprises ou d’organismes de recherche de Paris-Saclay (dont Marie Ros-Guézet, que nous remercions au passage de nous avoir signalé cette initiative), c’est donc trois artistes qui sont mis à l’honneur : Pascal Mollet (qui propose une peinture qu’il qualifie lui-même d’« d’abstraite [et de] contemporaine »), Ktou (une artiste peintre plasticienne), Emmanuelle Mertian de Muller (une peintre qui se qualifie, cette fois, de « figurative »), enfin, Catherine Chavigny (sculptrice).

Entre ces artistes, très peu de points communs tant au regard des sujets traités, que des techniques (collages, oxydation, gravure,…) ou des matériaux utilisés. Un éclectisme délibéré. Catherine Moreau : « Chaque exposition est conçue de façon à ce qu’il y en ait pour tous les goûts. » La même insiste sur le fait qu’elle ne s’interdit pas d’exposer un artiste « moins facile », histoire, encore une fois, de bousculer un peu les salariés dans leurs certitudes. Et cela marche : avec le temps, des œuvres « rejetées » de prime abord finissent par susciter l’intérêt, et même par être achetées.

De la défiance à l’intérêt

Catherine Moreau et Erika Nanan ne s’en cachent pas : l’objectif est de vendre, dans l’intérêt des artistes. Tout est fait pour préserver la confidentialité de la transaction : sur chaque petit carton de présentation des œuvres est systématiquement rappelé le numéro de portable de Catherine Moreau. Pas besoin donc de passer par un collègue de l’entreprise. Il est même possible d’essayer chez soi l’œuvre qu’on souhaiterait acquérir.

« Lors des toutes premières expositions organisées à l’UMS, se souvient Catherine Moreau, les salariés ne se pressaient pas, se montrant même plutôt réfractaires. C’est à peine s’ils ne s’offusquaient pas qu’on expose des œuvres qu’ils n’auraient pas, pour la plupart, les moyens d’acquérir » (pour information, le prix oscille de quelques centaines d’euros à environ 1 500 pour les œuvres les plus chères, le règlement pouvant se faire en plusieurs fois). Ce que le directeur confirmera plus tard, avec la même franchise. Comme pour toute exposition, un vernissage est organisé qui permet une rencontre entre salariés et artistes. Les premiers contacts n’ont pas été des plus chaleureux. « Des salariés n’hésitaient pas à exprimer leur ressenti », raconte encore Catherine dans un sourire qui dit bien que tout cela n’est plus désormais que de l’histoire ancienne. De fait, avec le temps, un vrai dialogue s’est instauré. «  Lors du dernier vernissage, c’est l’artiste le plus “abstrait‘ qui a suscité le plus d’intérêt » relève Erika Nanan.

Des effets positifs

Au fil du temps, l’art a, semble-t-il, fini par infuser l’entreprise. Les salariés croisés au cours de la visite sont manifestement sensibles à l’intérêt que des visiteurs extérieurs portent à leur univers de travail. Catherine Moreau : « Ils ont pris l’habitude de ces expositions au point même de manifester des regrets au moment de leur décrochage. D’une exposition à l’autre, ils mesurent le vide laissé par les œuvres ». «  Quant aura lieu la prochaine exposition ? ». La question reviendrait comme un leitmotiv. Petit à petit, des salariés se manifestent pour acquérir une œuvre. Sans exclure d’en acquérir une autre. L’un d’eux s’est même découvert une âme de collectionneur.

Pour l’entreprise elle-même, la démarche offre plusieurs intérêts. Outre les avantages fiscaux déjà évoqués, elle trouve là un moyen d’égayer ses murs vides et blancs ainsi que ses couloirs. Comme l’explique encore son directeur, Thierry Laboureau, «  la présence d’œuvre permet aux salariés de sortir de leur référentiel habituel. » Et de faire quelque peu oublier les espaces confinés dont des salles blanches, dans lesquels plusieurs sont amenés à travailler, au milieu d’équipements technologiques. Manifestement, cela contribue aussi à apaiser les relations avec les salariés. Comme on peut le constater, les œuvres sont exposées à tous les étages, jusque dans la salle de repos ou la cuisine du personnel. « Un geste auquel les techniciens disent avoir été sensibles », rapporte Catherine Moreau.

Une contribution au bien-être au travail

Bien plus, la présence de l’art contribuerait au bien-être sinon à un mieux être au travail. De là à parler d’art thérapie, il y a encore un autre pas qu’Erika Nanan et Catherine Moreau franchissent volontiers.

Quant à savoir dans quelle mesure, cette présence de l’art révèle la dimension créative des métiers exercés au sein d’UMS, difficile à dire. A travers ce type d’expositions, on n’en est encore qu’à un premier stade dans le dialogue avec l’art dans un milieu technologique. Néanmoins, pour le visiteur extérieur, des analogies entre les deux univers sautent aux yeux : les salles blanches avec  tous leurs équipements de pointe ne sont pas dépourvues d’une certaine esthétique ! C’est du moins le nouveau regard que la présence d’œuvres d’art semble amener à poser sur elles. Pour Catherine Moreau, l’attrait que les salariés éprouvent finalement pour des œuvres « abstraites » tiendraient d’ailleurs aux analogies possibles avec le monde des ingénieurs dont certains artistes exposés sont d’ailleurs parfois issus (c’est le cas d’Emmanuelle Mertian de Muller, qui a travaillait dans une société d’informatique avant de se lancer dans la peinture). Au cours de la présentation de la société UMS, Thierry Laboureau devait de son côté faire une référence aux métiers du verrier pour expliquer une technique utilisée dans la fabrication de ses micro-processeurs. Et si la présence d’œuvres artistiques contribuait à révéler les liens multiples du monde des ingénieurs avec l’art sous toutes ses formes ?

D’autres formes d’intervention artistique

En dehors d’UMS, d’autres entreprises privées sollicitent les compétences de Facility’Art : Technicolor, EMC2, Vinci energies, Thales, Energizer,… Pour l’organisation d’expositions ou d’autres prestations comme le conseil en décoration intérieure, les contrats de mécénat, l’aménagement d’espaces verts, des cours de peinture, de sculpture ou de photo, ou encore du teambulding autour d’un thème sur lequel l’entreprise souhaite communiquer. Les représentants d’organismes publics présents au cours de la visite de l’exposition sont manifestement intéressés à l’idée de solliciter Facility’Art. Une discussion s’engage néanmoins sur la question de savoir s’ils peuvent recourir à une telle entité sans passer par un marché public.  A voir l’intérêt qu’elle suscite, ce genre d’initiative participe de toute évidence de cette tendance de fond en faveur d’une promotion de  l’art hors de son contexte habituel (musées, galeries). Une tendance à l’œuvre à Paris-Saclay à travers le très fructueux dialogue arts-sciences, porté par plusieurs initiatives, dont celles de La Diagonale.

Publié dans :

Sylvain Allemand
Sylvain Allemand

Journaliste

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