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Santé

Quand Danone se penche sur nos assiettes.

Le 24 octobre 2016

Chef de projet en nutrition et comportements alimentaires au Centre Daniel Carasso de Danone Nutricia Research / Paris-Saclay, Bénédicte Monnerie a participé au dernier WAW séminaire où elle témoignait de la contribution de l’alimentation au bien-être au travail. Elle a bien voulu nous en dire plus, y compris sur les perspectives offertes par l’écosystème de Paris-Saclay.

En quoi consistent vos recherches sur le site du Centre Daniel Carasso de Danone Nutricia Research ?

Le Centre Daniel Carasso est un centre de recherche et développement dédié aux produits laitiers, aux eaux et aux boissons. Mon travail en particulier porte sur les produits laitiers du point de vue de leurs qualités nutritionnelles et de leur contribution à la santé. Mais au-delà des produits en eux-mêmes, nous nous intéressons ici à la manière dont les personnes vont les consommer, les intégrer dans un régime alimentaire complet et, pour tout dire, un mode de vie sain. Les produits occupent, certes, une place essentielle dans nos activités de R&D, mais nous souhaitons comprendre plus largement les facteurs qui pèsent sur les choix d’un mode d’alimentation, pour mieux accompagner le consommateur vers des habitudes aussi saines que possible pour sa santé.

– De quelles compétences disciplinaires vous entourez-vous pour appréhender ainsi ces modes alimentaires ? Allez-vous jusqu’à solliciter des chercheurs en sciences sociales et humaines ?

Oui, bien sûr. La compréhension des habitudes alimentaires fait appel à de nombreuses compétences. Et ce d’autant plus que les pratiques revêtent aussi une dimension culturelle. Du point de vue d’un groupe international comme Danone, il est évident qu’un consommateur nord-américain n’a guère à voir avec un consommateur européen, africain ou asiatique. Etant entendu que des différences existent aussi au sein d’un même continent. C’est dire s’il faut aussi comprendre les pratiques alimentaires au plan culturel dès lors que nous voulons améliorer l’alimentation du point de vue de la santé, et donc nous entourer de sociologues et d’anthropologues. Mais il nous faut aussi disposer de chiffres robustes. Ce qui suppose de travailler aussi avec des épidémiologistes.

– C’est dire la nécessité d’une approche multidisciplinaire…

Exactement. J’ajouterai la nécessité d’une approche à la fois quantitative (encore une fois, il nous faut disposer de chiffres robustes), et qualitative. Naturellement, nous n’avons pas toutes ces compétences en interne et, quand bien même les aurions-nous, nous cherchons toujours d’autres avis pour enrichir nos idées et nos projets. D’où le recours fréquent à des experts extérieurs, y compris des universitaires, bien ancrés dans les pays dont nous souhaitons comprendre les comportements et pratiques alimentaires.

Si cette multidisciplinarité est indispensable, reconnaissons que c’est aussi parfois un challenge. Il n’est pas toujours simple d’identifier toutes les compétences dont nous avons besoin. Il nous faut savoir définir le périmètre de chaque expert, de façon à garantir le plus de complémentarité entre eux.

– Comment parvenez-vous à mener ce genre de recherche au sein de Paris-Saclay, un écosystème plus orienté vers les sciences de l’ingénieur ou exactes, même si les SHS y sont plus représentées qu’on le dit ?

Autant le dire, nous n’avons pas ressenti de lacune de ce côté-là. Peut-être parce que nos recherches relèvent aussi des sciences du vivant, bien présentes au sein de l’écosystème. Si les SHS peuvent paraître moins présentes dans notre environnement immédiat, nous ne désespérons pas de leur renforcement, à la faveur notamment de l’arrivée prochaine d’AgroParisTech et de l’INRA, qui s’intéresse de plus au plus à la dimension comportementale de l’alimentation. A l’évidence, l’environnement s’adapte aux nouvelles orientations de la R&D. Et puis, la moindre présence des SHS ne nous a jamais empêchés de travailler avec des chercheurs relevant de ces disciplines, fussent-ils extérieurs au campus de Paris-Saclay.

– Quelle est votre propre formation ? En quoi vous a-t-elle permis d’investir ce champ multidisciplinaire ?

De formation, je suis ingénieur en agroalimentaire. J’ai été convaincue de l’intérêt de la nutrition par un de mes professeurs. J’ai fait un premier stage puis trouvé mon premier emploi dans le service de nutrition à l’Institut Pasteur de Lille. Un service à l’interface de la recherche fondamentale et de l’entreprise. Il était souvent sollicité par des industriels en quête de support pour les besoins de leurs études cliniques.

– Comment en êtes-vous venue à rejoindre Danone ?

Très vite, j’ai eu envie de m’ouvrir à l’international. Ce qu’un poste dans un groupe comme Danone permettait d’envisager. J’ai été recrutée en 2006, pour gérer des études cliniques en nutrition au sein de Danone Nutricia Research. Le principe de ces études est de démontrer, avec une méthodologie robuste et reconnue, l’effet de nos produits sur des paramètres en lien avec la nutrition et la santé. Des études, lancées pour des marques en particulier, peuvent être « multicentriques », au sens où elles sont menées dans plusieurs pays simultanément.

– Comment en êtes vous venue à élargir votre approche au-delà de la dimension nutritionnelle ?

Dès lors que vous vous intéressez à l’alimentation, vous constatez très vite le poids des comportements alimentaires et du mode de vie. Il était certes important de démontrer les effets de nos produits, mais si les arguments sanitaires sont importants dans les choix alimentaires des consommateurs, d’autres considérations devaient être prises en compte. Les spécialistes du domaine estiment ainsi à 30% la part des arguments rationnels, liés à des considérations de santé, qui entrent dans les choix effectués en matière d’alimentation. Non que le reste soit irrationnel. Mais il tient à la disponibilité d’un produit (des consommateurs peuvent acheter un produit par défaut) ; à son coût ou à des aspects plus sociaux ou culturels (des produits ne sont consommés qu’en certaines occasions : la Dinde ou la bûche de Noël, par exemple).

Forte de ces diverses considérations, j’ai estimé que, si je voulais contribuer à aider les consommateurs à adopter des pratiques alimentaires plus saines, il importait de prendre en considération ces autres déterminants et voir sur lesquels on pouvait peser. C’est ainsi que j’en suis venue à m’ouvrir davantage aux sciences sociales et humaines, plus à même à éclairer les comportements et leurs motivations, au-delà des seules considérations nutritionnelles.

– Quelle est, dans cette évolution, la part entre l’aspiration personnelle et la tendance générale du secteur agroalimentaire ?

Il y a sans doute des deux. J’ai une sensibilité personnelle à ces enjeux, qui rejoignent celles actuelles de Danone, qui a pris acte du fait que s’alimenter ne consistait pas seulement à incorporer des nutriments et de l’énergie, et qu’il fallait en conséquence comprendre mieux les dimensions sociales et culturelles de l’alimentation.

C’était une chose d’avoir une aspiration personnelle, c’en était une autre d’être qualifiée pour orienter ma carrière dans cette direction. J’ai donc entrepris d’enrichir mes compétences, dans le cadre de la formation continue et à travers différents programmes de recherche qui m’ont permis d’approfondir mon expertise à travers des échanges avec des spécialistes.

– Comment en êtes-vous venue ensuite à mener des initiatives sur le site du Centre Daniel Carasso avec le concours des salariés ?

Par définition, ils forment un public « captif » : ils passent finalement une bonne partie de leur temps sur le lieu de travail et y prennent aussi de nombreux repas ! Se tourner vers eux offre ainsi la possibilité de mieux travailler la prévention dans la durée et à plusieurs niveaux : l’information sur le site, le changement de l’environnement, suivi individuel ou collectif, l’optimisation de l’offre alimentaire… Et puis, Danone a pour vocation d’améliorer la santé par l’alimentation. En vertu du principe d’une charité bien ordonnée, il était normal de se préoccuper de ses propres salariés !

– Quelles actions avez-vous menées ?

Les premières ont été lancées en 2009, dans le cadre d’un programme baptisé « Health at Work ». Le chef d’établissement de l’époque avait à cœur d’œuvrer en ce sens. Il s’est entouré de trois « sponsors », comme on dit chez nous, qui ont pris chacun en charge la promotion d’une thématique : « Bien dans mon assiette  » (autour de l’alimentation et de la nutrition), « Bien dans mon corps » (autour des activités physiques), enfin, «  Bien dans ma tête » (tourné vers l’équilibre entre vie personnelle et vie professionnelle), avec, à chaque fois, l’idée de solliciter le concours des salariés du Centre Daniel Carasso pour la formulation d’idées. Après tout, c’est eux qui travaillent ici au quotidien et sont donc en mesure d’identifier des difficultés et/ou des opportunités. En d’autres termes, il ne s’agissait pas d’imposer des solutions clé en main, mais de co-construire des propositions avec les premiers intéressés. Il s’agit en somme d’un appel à idées, sur la base du volontariat. Les salariés n’étaient évidemment pas contraints de participer. On leur offrait juste la possibilité de mener des projets. Les sponsors étaient là pour arbitrer et trouver jusqu’aux financements éventuellement nécessaires. Bref, un programme pour les salariés fait par les salariés.

– Avec quels résultats ?

De nombreux volontaires se sont manifestés. Quelques mois d’essai plus tard, force a cependant été de constater qu’il pouvait être difficile, tout comme pour les sponsors mêmes les plus motivés, de mener à bien des projets en plus de ses missions professionnelles. Des coordonnateurs ont donc été nommés pour certaines thématiques, à commencer par celle la plus liée à notre cœur de métier, «  Bien dans mon assiette ». Nous avons aussi fait appel à une diététicienne, qui travaille désormais à mi temps sur cette thématique.

– En quoi consistaient les initiatives de cette thématique ?

La thématique a inspiré toutes sortes d’initiatives qui vont de la boite à recettes partagées – les salariés échangent leurs recettes – jusqu’à des « speed dating nutrition » – des bilans sur son alimentation – en passant par des événements autour de l’alimentation du sportif, mais aussi du petit enfant, etc. Parmi elles, une des plus récentes a consisté dans la création d’un potager. Porté par notre collègue Erica Perrier, qui en a négocié le budget auprès de la direction, il s’organise en une vingtaine de carrés, que les salariés jardinent pendant une « saison » (une année). Au terme de cette échéance, les carrés sont remis à disposition pour assurer une rotation, un même salarié pouvant en hériter d’un d’une année sur l’autre, selon les possibilités. Un même carré peut aussi être exploité par deux salariés. L’idée est de montrer l’intérêt du jardinage, en matière d’alimentation mais aussi de pratiques physiques. A priori, les légumes consommés sont cuisinés sinon distribués auprès d’autres salariés ou échangés (j’ai moi-même bénéficié de courgettes qui, cette année, ont été produites en abondance !). Il s’agit aussi de prendre conscience du rythme des saisons, d’améliorer le bien-être au travail en offrant des moments de pause originaux. C’est aussi l’occasion d’éprouver des gestes de solidarité (ne serait-ce que pour assurer l’arrosage pendant les vacances ou par temps sec) et d’entraide à travers l’échange d’astuces ou de semences. Comme le portager est ouvert à l’ensemble du site, il permet de se connecter à des collègues avec lesquels on ne travaille pas directement, car relevant de métiers différents.

– Une métaphore de la manière dont se fait l’innovation, par sérendipité, sur la base de rencontres fortuites…

De fait, on constate des rapprochements entre des personnes de métiers différents (produits laitiers, eau, etc.), qui fourmillent d’idées et de projets à la première rencontre. De ce point de vue, il s’agit d’un succès.

– Et vous-même, dans quelle mesure vous impliquez-vous ?

Dès la première heure, j’ai fait partie du groupe «  Bien dans son assiette ». D’abord comme volontaire. Puis j’ai fait le relais entre la diététicienne et le sponsor avant d’être amenée à évaluer le programme, qui avait déjà quatre ans d’existence. Une durée qui nous laissait a priori assez de recul. Manifestement, il suscitait de nombreuses idées, mais nous ne savions pas comment il était perçu par les salariés, ni quel impact il avait sur leurs habitudes alimentaires ou leur activité physqiue. Mais faute d’avoir pu dès le départ mettre en place cette évaluation, nous ne disposiions pas de la baseline pour établir des liens de causalité et suivre des changements avec le temps.

– Cela étant dit, et c’est peut-être la manière positive d’envisager les choses, c’est bien la preuve que la démarche s’est déployée en marchant, qu’elle n’était pas la simple transposition d’un dispositif expérimenté ailleurs…

Oui. De surcroît, nous n’avons pas renoncé à procéder à une évaluation. En 2012, nous avons pour commencer porté notre attention sur la perception du programme, à travers des entretiens individuels et des focus groups. Si certaines choses étaient perçues comme bénéfiques et bien conçues, en revanche, d’autres n’étaient pas forcément comprises, notamment pour ce qui concerne la thématique «  Bien dans ma tête ». Forts de ces retours, nous avons pu procéder à des ajustements. Nous souhaitions aussi vérifier que la position de l’employeur était juste sur ces sujets. Il lui faut pouvoir se soucier du bien-être de ses salariés sans paraître pour autant intrusif. Nous traitons après tout de thématiques qui touchent à leur vie intime.

– Qu’en est-il depuis ? Des évaluations ont-elles été renouvelées ?

Oui. Après l’évaluation sur la perception, nous en avons menée une, l’année suivante, sur les comportements avec l’idée de savoir s’il y avait une corrélation positive entre la participation aux actions programmées et le sentiment de bien-être au travail, ainsi que le niveau d’activité physique et la qualité de l’alimentation.

– Et alors ?

(Sourire) Il y a bel et bien une corrélation. L’hypothèse qui reste à étudier est de savoir si c’est lié effectivement au programme et à ses initiatives ou au fait que ceux qui y participent ont déjà des dispositions favorables. Pour surmonter ce type de biais, nous avons introduit une incitation indépendante de la finalité du programme, consistant à reverser, pour chaque participation à l’évaluation, une somme aux Restos du Cœur. Nous avons par ailleurs procédé à d’autres tests pour nous assurer aussi que l’échantillon ayant répondu aux questionnaires d’évaluation était cohérent avec l’ensemble des effectifs du site (en termes de métiers, de sexe ou d’âge). Ce qui est bien le cas.

– Ce que je retiens de ce que vous dites, c’est, une nouvelle fois, que vous avancez en marchant et ce, dans le cadre de ce site-ci. Est-ce néanmoins dans la perspective de formaliser une méthode qui pourrait être transposée ailleurs, à commencer par les autres sites du groupe ?

Effectivement, c’est notre ambition. Le Centre Daniel Carasso étant dédié à la R&D, il était normal d’en faire un lieu d’expérimentation de méthodes innovantes, susceptibles d’être introduites ailleurs, dans nos bases logistiques et nos usines. Des actions ont d’ores et déjà été déployées au sein de Danone. La démarche d’évaluation que nous menons en parallèle est destinée à proposer une boite à outils aux autres sites. Mais rien n’empêcherait de proposer cette expertise à d’autres entreprises ou organisations.

– Est-ce ainsi qu’on peut interpréter votre investissement dans le WAW Lab ?

Exactement. Le second WAW Séminaire a été l’occasion pour nous de présenter l’état de nos réflexions et recherches sur les modes alimentaires et les leviers d’amélioration. Il a été aussi l’occasion de prendre la mesure de l’intérêt des entreprises des environs pour ces problématiques, mais aussi mutualiser les expériences en la matière. Cela nous permettrait de nous confronter à d’autres catégories de salariés, évoluant dans des contextes professionnels différents de ceux de Danone et, ainsi, d’apprécier la transférabilité de nos sujets. Peut-être que des initiatives menées ici ne sont pas adaptées à d’autres populations. Ce qui, bien sûr, ne relativiserait pas leur intérêt, mais permettrait d’en imaginer d’autres.

– Vous êtes arrivée ici, en 2006, avant que Paris-Saclay ne soit officiellement lancé. Comment en vivez-vous l’évolution ? La percevez-vous, d’ailleurs ?

Oui, bien sûr. Au cours de ces dix dernières années, l’environnement et le paysage ont profondément changé. Jusqu’à récemment, nous avons pu nous sentir un peu seuls. Nul doute que la très belle salle de sport et la conciergerie, qui propose des services de proximité, nous ont aidés à nous sentir moins « isolés ». Au début, il n’était pas simple de se rendre ici, faute d’un réseau de transports en commun suffisamment dense et efficace. Mais, là aussi, la situation s’améliore. Je pense à l’aménagement du bus en site propre ou encore aux pistes cyclables, qui sécurisent l’usage du vélo. Sans compter les initiatives en matière de covoiturage ou d’autopartage. Et puis, avec l’installation de nouvelles entreprises, on assiste à une mutualisation de services. Nous-mêmes accueillons dans notre salle de sport des salariés d’Horiba et de Thales. Nous avons par ailleurs initié l’accueil de food-trucks. Le fait d’en proposer l’accès aux salariés d’autres entreprises permettra d’avoir une offre plus variée. On pourrait multiplier les exemples. Le site du Centre Daniel Carasso de Danone Nutricia Research n’est pas un centre de recherche perdu au milieu de nulle part, mais un acteur à part entière d’un projet dont on mesure chaque jour un peu plus le dynamisme.

A lire aussi l’entretien avec Hervé Plessix, directeur du Centre Daniel Carasso de Danone Nutricia Research (pour y accéder, cliquer ici).

Sylvain Allemand
Sylvain Allemand

Journaliste

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