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Entrepreneuriat innovant

La marque de fabrique d’IncubAlliance ? Le partage.

Le 4 février 2018

Directrice déléguée à l’essaimage au sein du CEA (à gauche sur la photo), elle préside IncubAlliance depuis janvier 2017. Corinne Borel nous en dit plus sur ce qui, dans sa carrière, l’a prédisposée à accompagner des chercheurs dans la valorisation de leurs travaux scientifiques. Mais aussi sur ses ambitions pour améliorer la visibilité de l’offre d’incubation au sein de l’écosystème de Paris-Saclay.

– Comment va IncubAlliance ?

IncubAlliance va très bien. Rappelons qu’il a été créé en 2005 et a constitué une des premières structures fédératrices de Paris-Saclay. Outre l’Université Paris-Saclay, elle compte parmi ses membres, des établissements de recherche et d’enseignement supérieur, des industriels et des financiers. Nous tirons pleinement profit de la création de la SATT Paris-Saclay, dont les locaux sont hébergés ici-même, ce qui facilite nos échanges. Les start-up qu’elle accompagne sont potentiellement amenées à être incubées à IncubAlliance. Depuis janvier 2017, nous assurons la gestion opérationnelle du SQY Cub, l’incubateur de Saint-Quentin-en-Yvelines.
Pour autant, le rayon d’action d’IncubAlliance ne se limite pas à Paris-Saclay. IncubAlliance a vocation à être l’un des tout premiers incubateurs technologiques publics d’Ile-de-France. Les start-up que nous hébergeons sont, pour beaucoup d’entre elles, issues ou en lien avec une valorisation de la recherche publique. Elles sont accueillies et accompagnées pour une durée de deux ans maximum. Une durée qui peut paraître longue, mais qui se justifie par l’ambition technologique de leurs projets, qui exige un temps de maturation, de développement et de mise sur le marché nécessairement plus long que pour une start-up non technologique. L’accompagnement (qui n’implique pas nécessairement un hébergement sur place), porte sur l’élaboration du business plan, l’accès au marché et le prototypage, les financements sans oublier le management, un élément essentiel dans la démarche de l’entrepreneuriat innovant.
En plus de dix ans d’existence, IncubAlliance a naturellement connu des évolutions, non sans réviser fondamentalement sa stratégie avec notamment la mise en place, fin 2015, d’un outil de « pré-incubation » : le programme GenesisLab, qui a permis de gagner en efficacité en initiant dès l’entrée en incubation, une analyse à 360 degrés du projet et une mise en situation des porteurs de projet à la création d’entreprise.

– A chaque fois que je viens ici, j’éprouve le même sentiment : où qu’on tourne la tête, on est devant le début d’une aventure entrepreneuriale passionnante. IncubAlliance, c’est aussi cela : un agrégat d’histoires collectives et humaines….

C’est tout à fait cela. Et c’est précisément ce qui me passionne dans la création d’une entreprise, a fortiori quand elle est très innovante. C’est d’abord et peut-être surtout une aventure humaine. C’est aussi une question de partage, des retours d’expériences qu’on fait profiter à d’autres. Ce qui suppose des lieux comme des incubateurs, justement. Cette dimension de partage, je la considère comme un élément clé et peut-être la marque de fabrique de cet incubateur-ci. Chaque équipe a ses propres bureaux, mais le lieu est configuré de telle sorte qu’il facilite aussi les échanges informels et ce partage que j’évoquais.

– Un mot sur l’équipe…

Si la structure est associative, l’équipe n’en fonctionne pas moins en mode entrepreneurial. Elle compte huit personnes, toutes au service des startuppers. Pendant deux ans, elle les accompagne dans tous les aspects : managérial, financier,… Et jusqu’aux aspects pratico-pratiques, avec exigence et bienveillance. Sans compter les quarante experts partenaires d’IncubAlliance, impliqués dans le programme d’incubation. Un gros effort est également fait pour mettre les entrepreneurs en relation et en réseau, avec toutes sortes de contacts : scientifiques et techniques, financiers (fonds d’investissement, Business Angels…), industriels. Et d’autres lieux : incubateurs spécialisés, accélérateurs, FabLabs,… L’équipe prend soin d’organiser des événements à cette fin. C’est dire si elle est en interaction avec l’écosystème.
En tant que présidente, je suis davantage en relation avec Philippe Moreau, directeur général, et François Many, le directeur général adjoint, pour développer de nouveaux partenariats stratégiques avec les banques, les industriels, les collectivités et toutes les structures qui complètent notre offre d’incubation. Malgré les responsabilités que je continue à exercer au CEA, je prends le temps de me rendre régulièrement à IncubAlliance, au moins une fois par semaine. Je ne manque aucun Last Friday organisé chaque fin de mois en vue de faire se rencontrer nos entrepreneurs, y compris des anciens, et des partenaires de notre réseau. Un moment de convivialité, qui permet d’échanger de manière informelle.

– Et au plan des statistiques, IncubAlliance, c’est quoi ?

En douze ans d’existence, IncubAlliance a accompagné pas moins de 372 start-up, qui ont débouché sur la création de 281 sociétés dont 193 encore en activité [chiffres de septembre 2017]. 88% sont encore en vie après cinq ans, un ratio plus que satisfaisant au regard de l’espérance de vie moyenne d’une entreprise. C’est la preuve que les projets que nous accompagnons sont solides et résistent aux aléas. Chaque année, nous incubons en moyenne une cinquantaine de projets, dont une trentaine de nouveaux, pour une durée de deux ans en principe, ainsi que je l’indiquais. Au-delà des statistiques, nous accueillons ici des projets dans des domaines très variés, même s’ils sont toujours à base technologique.

– Parmi ces projets, lesquels souhaiteriez-vous mettre en avant ?

C’est difficile à dire tant les coups de cœur sont nombreux, et quand bien-même présidè-je IncubAlliance depuis à peine un an. Certaines, toutes jeunes, sont prometteuses, d’autres plus anciennes font aujourd’hui parler d’elles. Permettez moi donc de ne pas me prêter à cet exercice, d’autant plus délicat qu’il ne rendrait pas justice aux premières start-up incubées ici, et de vous laisser les découvrir en naviguant sur notre site [pour y accéder, cliquer ici]. Je vous dirai juste qu’il y a actuellement de très nombreux projets, qui m’intéressent particulièrement et que je suis ravie de pouvoir accompagner !

– Ce qui se voit sur votre visage !

(Rire)

– Revenons à vous. Vous êtes donc présidente d’IncubAlliance. Pouvez-vous commencer par rappeler en quoi consiste cette fonction dans le cadre d’un tel incubateur ?

Comme pour toute association loi 1901, elle consiste, pour commencer, à définir avec les membres du conseil d’administration la stratégie de la structure et de représenter celle-ci auprès de diverses instances. Aujourd’hui, nous comptons 29 membres, associés et partenaires. De plus en plus d’industriels manifestent un intérêt pour la création d’entreprises innovantes et souhaitent rejoindre notre incubateur. Je m’emploie à répondre à leur attente.

– Qu’est-ce qui vous a prédisposée à présider IncubAlliance ?

J’en avais intégrée le conseil d’administration durant l’été 2016, comme vice-présidente, pour y représenter le CEA (un des membres fondateurs), en remplacement de Françoise Fabre, qui prenait sa retraite. C’est suite à la décision d’Eric Henriet, mon prédécesseur, de ne pas renouveler son mandat fin 2016, que je me suis vu proposer de déposer ma candidature. Je remercie encore Eric chaleureusement pour son soutien dans cette phase de passage de relais.
Précisons qu’au sein du CEA, je suis directrice déléguée à l’essaimage, en charge du suivi de l’accompagnement des projets de création d’entreprise sur l’ensemble de ses sites. Des projets portés par des chercheurs ou des ingénieurs, mais aussi des entrepreneurs extérieurs. Pratiquement tous les projets émanant de nos laboratoires du site de Saclay sont amenés à rejoindre IncubAlliance, pour leur phase d’incubation. C’est dire les liens étroits qui lient les deux institutions.

– Combien de projets issus du CEA sont-ils incubés en moyenne ?

Chaque année, l’ensemble des neuf sites du CEA contribue à la création d’une dizaine de start-up. Bon an mal an, de trois à cinq dans le site de Paris-Saclay, les autres l’étant pour l’essentiel sur le site de Grenoble. Ce qui explique que l’équipe d’essaimage soit répartie entre Saclay et Grenoble, en s’appuyant néanmoins sur un réseau de correspondants « essaimage », répartis dans les autres sites, au plus près des instituts et laboratoires, donc, pour détecter des projets potentiels. Une fois ceux-ci identifiés, nous intervenons pour les challenger et les coacher sur les aspects autres que purement technologiques, les aider à dresser une feuille de route. Nous leur apportons aussi un soutien administratif et financier.

– Dans quelle mesure l’insertion du site du CEA dans l’écosystème Paris-Saclay a-t-elle contribué à amplifier la valorisation de la recherche au travers de projets entrepreneuriaux ?

Ce besoin de valoriser la recherche n’est pas propre à Paris-Saclay. Nos chercheurs les plus pragmatiques, de quelque centre qu’ils soient, ont bien compris que le contexte était devenu favorable à la valorisation de travaux de recherche et qu’ils pouvaient aller au bout de celle-ci, à travers un projet entrepreneurial.
Cela étant dit, il est clair que l’écosystème Paris-Saclay est tout particulièrement favorable et incitatif, avec tous ses laboratoires, son université et ses grandes écoles (Institut d’Optique, CentraleSupélec, Polytechnique, ENS Paris-Saclay…), qui proposent de surcroît des formations à l’entrepreneuriat innovant, lesquelles produisent des profils intéressants : des jeunes ayant tout à la fois des compétences technologiques et dans le management d’une entreprise. Sans oublier la présence d’HEC, qui permet de compléter la formation d’élèves-ingénieurs ou de pourvoir les besoins en managers. Tout cela constitue un écosystème dynamique, dont profite le CEA Paris-Saclay, tout en en étant un acteur majeur et pas seulement dans le domaine de l’énergie. Le CEA Paris-Saclay est présent notamment dans le domaine du numérique appliqué, à travers le List, qui sera un contributeur majeur du projet Digihall, futur espace de recherche dans le domaine du digital, aux côtés du pôle Systematic Paris-Region, de l’IRT SystemX, de Télécom ParisTech, de Télécom SudParis et de l’Inria. CEA Paris-Saclay est aussi présent avec ses partenaires du plateau dans le domaine des matériaux, avec l’Additive Factory Hub (AFH), ou encore celui de la santé. Enfin, il faut souligner le rôle joué par les appels à pré-maturation de l’Idex et l’accompagnement à la maturation de la SATT Paris-Saclay, qui ont ouvert de nouvelles perspectives en matière de valorisation.

– Etes-vous sensible à l’enjeu de la féminisation de l’entrepreneuriat innovant ?

Oui, bien sûr. Force est d’admettre qu’à l’échelle du CEA, nous pouvons encore mieux faire,  de ce point de vue. Pour l’heure, nous n’avons pas engagé d’actions spécifiques auprès de nos chercheuses, qui souhaiteraient se lancer dans l’entrepreneuriat. Leur moindre représentation tient aussi aux poids des sciences dites dures au sein du CEA, dont on sait qu’elles attirent en général plus les hommes que les femmes. Celles-ci sont davantage présentes dans les sciences de la vie où certaines vont jusqu’à la création d’entreprise. Maintenant, en ce qui concerne IncubAlliance, nous y comptons des entrepreneuses, certes en nombre moindre que les entrepreneurs, mais la tendance va dans le bon sens. Naturellement, en tant que femme, je souhaite encourager la création d’entreprises au féminin.

– Le fait qu’IncubAlliance soit présidée par une femme n’est pas anodin…

J’ignore si c’est ce qui a présidé au choix des membres du conseil d’administration, mais il est clair que j’aurai une attention particulière sur cette problématique. Etant entendu qu’en l’état actuel des choses, rien, dans l’accompagnement qui a été apporté jusqu’ici, n’a été différencié selon qu’un projet était porté par une femme ou par un homme.

– J’observe que l’équipe d’IncubAlliance est d’ailleurs paritaire de ce point de vue [pour accéder à la composition de l’équipe, cliquer ici].…

En effet et je m’en réjouis.

– Revenons-en à vous et à votre accompagnement d’entrepreneurs innovants. A force d’en rencontrer, avez-vous eu la tentation de vous lancer dans la création de votre propre start-up ? Ou considérez-vous que l’entrepreneuriat innovant n’est pas que l’affaire d’entrepreneurs, mais de bien d’autres acteurs en charge notamment de les accompagner et qui peuvent trouver du plaisir à le faire ?

(Sourire). Je crois en effet que l’accompagnement de porteurs de projet, le fait de leur faire profiter de son expertise dans tel ou tel domaine, de les aider dans leurs démarches de financement, de leur faire profiter d’un retour, c’est un métier à part entière qui vaut aussi la peine d’être vécu. Les entrepreneurs sont des « faiseurs » – dans le bon sens du terme – et ont donc parfois le nez dans le guidon. Ils ont besoin d’interlocuteurs qui leur fassent prendre un peu de recul. Pour ma part, j’y prends beaucoup de plaisir en me définissant comme une « passeuse », qui tisse les liens, rend les choses possibles et aide l’édifice à tenir. Toute ma carrière professionnelle m’aura d’ailleurs inclinée à assumer ce rôle. J’aime initier, accompagner des actions et tout particulièrement à leur démarrage, car c’est le moment où tout est possible et où on éprouve le plus de liberté. Et puis, accompagner des entrepreneurs, des projets, cela exige de la curiosité et de la persévérance, l’envie d’aller au bout, de réussir, d’emmener une équipe vers l’autonomie. C’est dire si ce peut être réjouissant malgré les difficultés qu’on peut rencontrer en cours de route. Ensuite, vient le temps de la gestion, pour lequel je me sens moins de prédilection.
Maintenant, je ne peux pas dire que, ô grand jamais, je ne me lancerai dans la création d’une start-up ou n’en rejoindrai une comme associée. Si un projet me tenait à cœur, je ne m’interdis pas a priori de sauter le pas !

– Vous avez souligné combien votre carrière professionnelle vous a inclinée vers l’accompagnement des porteurs de projets dans la valorisation scientifique. Y-a-t-il eu des prédispositions familiales ?

Aucune ! Mes parents étaient enseignants. Mais sans doute m’ont-ils transmis un goût pour la transmission. Je précise que j’ai moi-même eu un parcours scientifique : j’ai commencé par une école d’ingénieurs à Paris, avant de faire un doctorat en science des matériaux au Leti, à Grenoble, en 1987. Après une dizaine d’années d’activité au titre d’ingénieur de recherche, j’ai assumé des responsabilités plus corporate : en 1997, j’ai intégré le service de presse du CEA puis la direction des affaires européennes, toujours dans une logique de valorisation de la recherche, que ce soit auprès des médias ou des programmes de financement européens. Je souhaitais cependant revenir à une direction plus opérationnelle pour retrouver le contact avec les projets et l’accompagnement des chercheurs. De 2007 jusqu’en 2016, j’ai intégré la direction de recherche fondamentale. C’est durant ces années que je me suis véritablement initiée et passionnée pour la création d’entreprises émanant de la recherche fondamentale, d’autant que celle-ci est le plus souvent, et pour cause, porteuse d’une innovation de rupture. Puis, j’ai rejoint la direction de la valorisation en étant en charge de l’écosystème du Plateau de Saclay. Je représente cette direction au sein de l’Université Paris-Saclay.

– En France, peut-être plus qu’ailleurs, la valorisation scientifique n’a pas été sans susciter des débats quant au devenir de la recherche fondamentale. Quelle est votre vision des choses en la matière ? Comment l’articulez-vous à des projets d’entrepreneuriaux innovants ?

Dissipons d’éventuels malentendus : il ne s’agit pas de faire de scientifiques en recherche fondamentale, des entrepreneurs, mais de mettre des moyens pour valoriser les résultats de leurs travaux, en les associant, s’ils le souhaitent, à un projet entrepreneurial dont les aspects managériaux sont assumés par une équipe, qui est constituée pour cela. Tout chercheur peut donc poursuivre ses travaux en recherche fondamentale. Il ne s’agit certainement pas de remettre en question celle-ci, d’autant moins que ce sont bien souvent ses résultats qui peuvent déboucher sur des innovations susceptibles de transformer nos existences.
Précisons encore que la valorisation concerne aussi la recherche technologique. Au CEA, à peu près un tiers des projets de création d’entreprise émanent d’ailleurs de laboratoires de recherche dite « amont » (fondamentale), les deux autres, de recherche « aval » (technologique). Les uns comme les autres sont portés directement par des chercheurs, qui, au cours de leur carrière scientifique, sont amenés à faire des découvertes ou à avoir de nouvelles idées d’application, que ce soit en matière d’instrumentation, de méthodes de caractérisation, de diagnostic, de matériaux ou composants, de logiciels, etc. Soit des innovations à forte valeur ajoutée, mais qui souvent nécessitent un temps de maturation long et, donc, un accompagnement. Contrairement à ce qu’on croit parfois, un chercheur peut éprouver du plaisir à se lancer dans la création d’une entreprise. Certains, tout en bénéficiant d’une reconnaissance au plan international pour leurs travaux scientifiques, se révèlent même être des startuppers hors pair. Pour avoir côtoyé aussi bien des scientifiques que des entrepreneurs innovants, je relève d’ailleurs chez eux des points communs.

– Lesquels ?

Cette même appétence à apprendre, à explorer et à défricher des terrains vierges. Sans oublier cette rigueur et cette persévérance dans l’effort. Cela étant dit, la création d’une entreprise exige bien d’autres compétences, que le chercheur ne possède pas nécessairement (pas plus d’ailleurs que l’ingénieur) : savoir manager une équipe, élaborer un business model, communiquer, parler à des investisseurs, vendre… Tout disposé qu’il soit à participer à l’aventure, le chercheur a rarement vocation à en devenir le CEO. Je dis rarement, car il existe des contre-exemples : Theranexus, une société biopharceutique, qui développe de nouveaux traitements contre les maladies neuro-dégénératives. Accompagnée par le CEA en maturation, puis incubée ici, elle a récemment réussi son entrée en bourse. Elle avait été créée en 2013, par deux chercheurs en sciences de la vie, qui se sont révélés être de véritables entrepreneurs. Les chercheurs qui souhaiteraient comme eux créer une start-up disposent aujourd’hui de toutes sortes de dispositifs, de formation et d’accompagnement, pour opérer cette mue nécessaire de porteurs d’idées en entrepreneurs.
Au regard de la valorisation de la recherche, je différencierai cependant la création d’entreprise du partenariat industriel. Qu’un chercheur puisse s’interroger quant au fait de monétiser la recherche par du partenariat industriel, je peux le concevoir. Son interrogation ne doit pas cependant empêcher de se poser la question de savoir si sa recherche fait sens, si, à travers ses résultats, il ne pourrait pas contribuer à apporter des solutions (dans le domaine thérapeutique, énergétique, de la sécurité ou encore un tout autre domaine). Autrement dit, répondre à des impératifs non plus strictement économiques, mais sociétaux, moyennant un changement de posture. De fait, la plupart des chercheurs sont animés par ce souci de donner du sens à leur recherche. Sans pour autant aspirer à devenir entrepreneur, ils sont prêts à soutenir sa valorisation.

– Autrement dit, vous considérez qu’un chercheur engagé dans la recherche fondamentale au sein d’un grand organisme public peut tout aussi bien servir l’intérêt général à travers une valorisation de ses travaux par une démarche entrepreneuriale…

Oui, c’est exactement cela. On participe à l’intérêt général, mais selon d’autres modalités. Ceux auxquels on doit les découvertes scientifiques ne sont pas forcément les porteurs du projet entrepreneurial. Leur idée peut être valorisée par d’autres, des entrepreneurs expérimentés ou des jeunes ayant suivi une formation en entrepreneuriat innovant. Plusieurs cas de figure peuvent se présenter. Des chercheurs peuvent initier, porter sur les fonts baptismaux le projet et prodiguer leurs conseils, tout en conservant leur poste au sein de l’organisme de recherche, au travers d’un accord de collaboration entre la start-up et le laboratoire. Au sein de la direction de valorisation du CEA, mon rôle consiste à accompagner les chercheurs en amont du projet, au tout début du démarrage de l’idée, à les aider à la maturer et à trouver des financements en interne ou en externe (la SATT, par exemple), pour la phase de maturation. Une fois que le projet est suffisamment maturé, il s’agit ensuite d’aider ces chercheurs à identifier les compétences dont ils auront besoin.

– Venons-en à l’écosystème Paris-Saclay. Quel regard posez-vous sur lui ?

Pour ce qui concerne l’enjeu de la création de start-up, je crois que toutes les parties prenantes à l’écosystème ont conscience du travail à faire pour en attirer, mais aussi les y maintenir. Nous avons tous les atouts pour le faire : on compte ici de nombreux laboratoires de recherche de très haut niveau, de grands comptes prêts à travailler avec eux. On ne compte plus les initiatives en ce sens. Reste à étoffer l’offre en termes de locaux, à améliorer les conditions d’accessibilité du Plateau de Saclay et à accompagner les start-up jusqu’à la création d’emplois. Nous nous y employons avec les collectivités, en faisant en sorte que ces start-up aient envie de s’installer ici, en privilégiant cependant les start-up technologiques, celles qui ont besoin d’équipements et d’une proximité avec des laboratoires. C’est ce qui nous différencie au passage d’une structure comme Station F qui se définit plus comme une ruche, un lieu facilitateur de rencontres…

– Est-ce à dire que vous ne craigniez pas la concurrence de ce nouveau venu dans le paysage de l’incubation ?

Cette concurrence existe et il serait malhonnête de dire que la création de Station F n’a pas suscité des craintes quant au devenir d’incubateurs comme le nôtre. Ne nous leurrons pas. Tant que nous n’aurons pas une ligne de métro qui permette de se rendre ici, depuis Paris, en moins d’une demi heure, les investisseurs rechigneront à y venir. Nous sommes-là devant un vrai défi. Nul doute que la création de lieux de vie contribuerait à améliorer l’attractivité de l’écosystème. Il ne suffit pas que les fondateurs soient attachés au territoire qui a vu naître leur start-up, encore faut-il qu’ils puissent y faire venir les compétences dont ils ont besoin. Ce qui supposent de pouvoir s’y rendre, y trouver un cadre de vie satisfaisant, voire un logement.

– Dans le même temps, l’offre en matière d’incubation ou d’accélération s’est diversifiée…

En effet, et c’est un autre défi qui se présente à nous. IncubAlliance a été un des pionniers de la mutualisation des lieux d’incubation dans l’écosystème de Paris-Saclay. Depuis la création d’entreprises s’est considérablement amplifiée – une tendance qui n’est au demeurant pas propre à ce dernier, mais s’observe au plan national. Tant et si bien que la plupart des établissements d’enseignement supérieur se sont dotés de leur propre structure d’incubation. A quoi s’ajoutent des incubateurs ou accélérateurs privés. L’écosystème s’est diversifié au point de ne plus être toujours lisible aux yeux des premiers intéressés : les startuppers, les investisseurs et les grands comptes.
De là le travail que je mène actuellement, en vue de structurer et de simplifier l’activité d’incubation sur le Plateau de Saclay. Il ne s’agit certainement pas d’uniformiser, mais de structurer les offres pour les rendre plus visibles et efficaces, faire tomber les cloisonnements qui ont été dressés sans qu’on s’en rende compte, et de s’appuyer sur les meilleures pratiques. Trop souvent encore, on propose les mêmes événements, les mêmes activités ou les mêmes ressources en termes d’expertises. On sollicite les mêmes experts ou les mêmes intervenants. On gagnerait à mutualiser ces ressources pour gagner en visibilité aussi bien au plan local que national et au-delà des frontières. On a besoin d’avoir un incubateur de niveau international qui fédère les initiatives sans nier leurs spécificités. Nous travaillons en collaboration avec l’ensemble de nos partenaires, y compris l’EPA Paris-Saclay et la Région Ile-de-France. Un portail a d’ores et déjà été mis en place qui permet d’identifier les start-up de l’écosystème. Portail sur lequel nous comptons bien nous appuyer pour développer un travail d’animation de l’écosystème au regard des enjeux d’incubation.

– Un mot sur l’IPHE…

Cela fait bien évidemment partie de nos projets phares. Nous l’envisageons comme un lieu totem du Plateau de Saclay, pour accueillir des projets d’entreprises à tous les stades de leur développement. Et puisque c’est un totem, il n’aura pas vocation à abriter l’ensemble des actions et des activités d’incubation, mais il contribuera assurément à faciliter l’itinérance des entrepreneurs en fonction de leurs besoins en termes de locaux et d’équipements. Malheureusement, l’IPHE ne verra le jour qu’à horizon 2021. En attendant, il nous faut rendre le paysage plus visible en proposant une offre globale, à travers des parcours entre les différents lieux existant…

– Etes-vous optimiste ?

Raisonnablement optimiste. Le défi est grand et peut être relevé. J’y mets en tout cas beaucoup de ma volonté et de mon énergie !

Crédit de la photo en illustration de l’article : credit_CPS_Alain_Beguerie.

Sylvain Allemand
Sylvain Allemand

Journaliste

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